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Isabelle

Mimouni

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ATELIER D'ECRITURE

Portraits d'Anciens élèves

du lycée Chaptal de Paris

 

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Emilie

par

Sidonie Davenel

Avatar Emilie par Sidonie format 400_400.png

Une jeune femme blonde franchit la porte. Elle était emmitouflée dans un immense manteau de fourrure, si bien que ses moindres mouvements - la fermeture de la porte derrière elle, son hochement de tête poli et ses quelques pas pour atteindre la chaise placée en face de moi - semblaient comme atténués, amoindris, amortis par l’épaisseur de ce dernier. Mais ses mouvements, même perdus dans les remous veloutés du manteau, restaient vifs et chargés d’une sorte de grâce que la densité du vêtement ne pouvait diminuer. Ainsi la main sortie des profondeurs de l’habit qui ferma la porte était décidée, le fin visage qui semblait comme posé sur le monticule de fourrure me salua avec vigueur et les pas réalisés pour atteindre la chaise s’enchainèrent avec légèreté et précision, comme si rien n'eût pu entraver leur pleine liberté. Le manteau rendait anodins, presque invisibles, les autres éléments de sa tenue: la besace de toile bleue qui scindait en deux la fourrure, le bonnet blanc aux revers soigneusement rabattus, l’écharpe couleur bordeaux nouée en boucle autour du cou. Le manteau semblait se confondre avec les mouvements de la jeune femme, il ondulait au rythme de ceux-ci.

Quand je lui suggérai du regard la chaise, la masse du manteau s’assit avec elle dans un bruissement confus. Elle se releva rapidement, semblant se rappeler soudainement l’existence de son imposant vêtement et s’en défit avec une rapidité impressionnante avant de le laisser tomber sur le dossier de sa chaise. Elle semblait s’être défait d’une couche de peau, qui, une fois retirée, révélait une toute autre personne. Après son manteau, elle enleva son bonnet et son écharpe, découvrant un pull en laine rose clair dont le col en V laissait dépasser un chemisier bleu marine à pois rouge. Elle posa sur la table devant elle l’écharpe ainsi que le bonnet, dans lequel elle rangea un mouchoir usagé qu’elle tenait à la main. Ses doigts, aux ongles vernis du même rose pâle que son pull, attrapèrent son sac et en sortirent un gel hydroalcoolique au raisin. Un bracelet de perles accroché à son poignet droit tinta. Elle retira minutieusement une bague en or rose de son index, la déposa sur la table près du bonnet et de l’écharpe et fit couler le gel hydroalcoolique dans sa paume avant de l’étaler sur ses deux mains. Après quelques secondes d'application, le gel alla rejoindre sur la table les autres objets disposés là comme s’il se fût agi de la vitrine d’un musée d’objets insolites. Puis elle porta ses mains à son masque. C’était un bout de tissu fleuri, probablement cousu main. Ses doigts restèrent en suspens au niveau des ficelles du masque puis elle sembla se rappeler qu’elle ne pouvait pas le retirer là et ses sourcils se froncèrent. Elle prit un air mi-décontenancé, mi-contrarié, croisa ses jambes, les décroisa, joignit ses mains et remua ses pouces avant de finalement lever le regard vers moi.

A ce moment je jetai un coup d’oeil à la feuille posée devant moi, qui annonçait en lettres penchées et finement tracées “Prénom: Émilie, Age: 28 ans, Sports pratiqués: Danse, arts martiaux, Expérience dans le cinéma / théâtre: Quatre ans; Préférence d’un type de personnage: Les grands personnages féminins dotés d’une puissance d’émancipation, Le théâtre pour vous: Ce que l’on raconte humainement. Premier rôle: Petite provinciale arrivée à Paris pleine de complexes. A côté de ces écritures était sommairement collée une photo d’identité. Elle offrait ce que le bout de tissu fleuri plaqué au visage empêchait de saisir. Et il était surprenant de voir à quel point les yeux vert perçants d’ Émilie ne détonnaient pas avec le reste du visage; ou même plutôt que la bouche joliment formée, les fossettes au coin des lèvres, le nez fin, les pommettes colorées semblaient être le déroulement logique des deux yeux souriants mais attentifs, seuls éléments de son visage que j’étais en mesure d’observer. Ses yeux, et l’impression qu’ils renvoyaient, étaient d’ailleurs très déconcertants. Peut-être n'auraient-ils pas eu la même intensité sans le fard à paupière de couleur sombre soigneusement déposé - probablement le matin même, alors qu’elle se demandait devant son miroir quelle couleur pouvait convenir à ce type de rencontre - à chaque extrémité externe des yeux. L’ombre foncée agrandissait redoutablement le regard et se mariait relativement bien avec le vert perçant et pénétrant des yeux. Émilie fixa un moment la caméra montée sur un trépied à mes côtés mais détourna rapidement son regard et le reporta sur moi. Je lui demandai alors, sur le même ton monocorde que j’employais avec tous ceux qui postulaient pour le casting depuis ce matin, de se présenter rapidement.

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