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ATELIER D'ECRITURE

Portraits d'Anciens élèves

du lycée Chaptal de Paris

 

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Anthony Valentini

par

Carla Roche

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A la manière de Milan Kundera

 

            Comment aurions-nous pu décrire Anthony sans évoquer sa terrible peur du temps et de sa pesanteur ? Les êtres se distinguent par leur capacité ou non à se détacher des choses proprement humaines, des concepts inventés, qui témoignent de la peur de l’homme de ne pas posséder le contrôle sur un monde qu’il ne maîtrise pas. L’homme est seul dans l’infinité d’un univers qu’il ne comprend pas et trouve à travers des symboles une logique au monde irrationnel. Le temps constitue l’un de ces pièges qui peuvent profondément martyriser l’âme.

 

            Seulement, Anthony est pris au piège dans une relation contrariée au temps qui le confronte sans cesse à ses choix et lui impose de revoir son individualité à travers le regard d’autrui là où, dix-huit ans plus tôt, il entamait une vie qui, sans doute lui échapperait. Anthony faisait-il partie de ces âmes maussades, condamnées par une sorte de malédiction qui les soumet à une vie en décalage, alimentée par un bonheur insaisissable, qui commence à l’instant où il prend fin ? Si Anthony revint en salle Prosper Goubaux dix-huit ans plus tard, c’était parce qu’il avait l’impression d’accomplir une boucle. Dès lors, cette rencontre avec cette multiplicité d’êtres n’apparaît à ses yeux plus que comme une projection démultipliée de ce qu’il était auparavant. Il avait probablement cristallisé autour de cette rencontre, son désir de se voir spectateur de sa situation de préparationnaire.

            À travers cet événement sembla s’incarner la théorie de l’éternel retour d’après laquelle Anthony recommencerait à jamais chaque seconde de sa vie, condamné à subir de nouveau l’entièreté de ses décisions. Si cette idée lui avait été évoquée, Anthony aurait sûrement été terrifié, peut-être autant que s’il avait été confronté aux regrets qui l’assommaient. Il croyait posséder un stock de ressources qui s’amenuisait immanquablement de jour en jour, alors que ses efforts se concentraient dans une situation professionnelle qu’il avait longuement façonnée et qui pourtant lui pesait tout autant. Mais à Nietzsche, Anthony préférerait Orelsan. Il faut dire que tout comme lui, Anthony se méfiait des valeurs et des principes, qui figés dans le temps amènent l’homme à prendre le chemin de l’erreur et de l’intolérance, affirmation qui le poussait d’ailleurs à remettre en cause la valeur du travail qu’il avait si longtemps portée. Mais, cet attrait pour Orelsan ne serait sûrement que provisoire, parce qu’Anthony était de ces hommes qui ne s’attachent pas durablement. Toutefois, il était fidèle aux personnes qu’il aimait, comme sa femme qu’il connaissait depuis ses quatorze ans ou encore les nombreux amis qu’il avait conservés après ses études. Chose qui renforce l’idée d’un Anthony nostalgique, qui n’abandonnerait pour rien au monde ceux qui ont marqué son passé. Tout comme l’amour, la colère s’inscrivait durablement dans la mémoire d’Anthony et n’aurait su s’évaporer. Il se rappelait si bien de cette professeure, qui disait-il, n’aurait jamais parié sur lui. Il s’en rappelait et bien que le temps eût passé, semblait encore profondément marqué par cette phrase qu’il jugea dramatique.

 

            Dix-huit ans plus tôt, dans la salle Prosper Goubaux, Anthony songeait probablement à sa vie avec appréhension. Il n’imaginait pas que son esprit pèserait si lourd, ni que ses deux années de classe préparatoire marqueraient à ce point sa vie. Pourtant, désormais, il devait reconnaître que le temps était passé et que sa nostalgie ne lui rapporterait pas ces quelques milliers de secondes écoulées dans le vide. À mesure qu'Anthony parlait, sa présentation s’effilochait, tout le portrait qu’il avait peiné à construire se désagrégea jusqu’à perdre tout intérêt. Nombreux sont ceux qui façonnent leurs traits pour occulter les faiblesses qui les constituent, et ce, jusqu’à ce que leur personne s’oublie au profit d’une autre. Anthony faisait sûrement partie de ces hommes-là.

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