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ATELIER D'ECRITURE

Portraits d'Anciens élèves

du lycée Chaptal de Paris

 

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Anthony Valentini

par

Sacha Freda

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ANTHONY VALENTINI

Age : 37 ans

Suivi depuis : 6 MOIS

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Il est 16h17 : Anthony Valentini que je suis depuis quelques mois déjà arrive dans la salle d’attente. Trois minutes d’avance. Quelques minutes seulement, pour paraitre poli mais pas trop concerné non plus. Ne laissant percevoir aucune once de stress mais au contraire un certain confort. Comme à son habitude finalement. Toujours ponctuel, toujours cette image d’un homme à l’aise partout où il va.

 

-    Bonjour Anthony comment allez-vous ? Je vous laisse me suivre.

           

            Il entre et s’installe sur la chaise en face de moi. Jamais sur le divan. Il ne faudrait pas abuser de l’aisance qu’il se donne, il ne faudrait pas trop en montrer. Assis là, les mains jointes il ressemble à un enfant qui attend mon intervention pour ouvrir la séance. À un élève qui patiente tranquillement que le professeur commence son cours.

 

- On va commencer, vous me parliez la dernière fois de votre ami, votre témoin de mariage qui refuse de parler du passé et votre incompréhension face à cela.

 

            Anthony, depuis bien six mois maintenant que tu es mon patient, tu ressasses toujours autant ce passé. Ces histoires. Ton histoire. Tous ces souvenirs que tu refuses de laisser passer, de laisser parler, tu reviens dessus sans cesse, tu voudrais y retourner. C’est intéressant la façon dont tu poses les mots sur ce que tu ressens, sur ton passé, tu parles et tournes autour mais tu refuses de  placer le doigt dessus :

 

« j’aurai peut être pu plus profiter » / « quand j’y repense »

 

            Allez Anthony il faut le dire le mot : regret. Ce mot pèse dans ta bouche, il refuse de sortir, il se blottit entre la langue et les molaires derrière, je le vois. C’est peut être trop tôt encore pour toi de l’admettre. Que tu en as des regrets, ce n’est pas quelque chose de grave mais l’admettre serait accepter que ta vie maintenant n’est pas aussi parfaite que tu te l’imagines. Mais ça viendra, chaque chose en son temps. Oh tiens, ça ce n’est pas anodin :

 

«  Je me suis arrêté au plein milieu, j’avais perdu d’avance, je n’allais pas être premier cela n’aurai servi à rien / la déception de ma mère »

 

            Anthony tripotait ses mains en disant ces mots, comme si les phrases le gênaient. Les mots sont lourds et ils suivent un certain chemin. Parfois, ils commencent leur course depuis le cerveau, d’autres fois depuis le ventre ou directement depuis le coeur. Ceux la, ils partaient du ventre, ils bloquaient dans la bouche passaient devant notre cher mot « regret » bloqué entre la langue et les molaires, derrière. Les mots finissaient par sortir. Ils emplissaient la pièce et prenaient toute la place. Ils étaient là près de sa tête, près de la montre de son entreprise. Tiens aujourd’hui le bracelet est blanc. Vive la France. Près de ses mains qui refusent d’arrêter ce geste systématique qui atténue un peu la gêne et le stress. Près de son visage d’homme de trente-sept ans. Son visage de père de quatre enfants. D’homme marié. De chef d’entreprise. Mais aujourd’hui les mots volaient près d’un visage différent. Plus neutre. D’un Anthony nouveau, plus jeune. Enfin, on y était. Il était là-bas, d’abord très loin puis au fil de ces phrases de plus en plus près. La piste d’athlétisme se dessinait trait par trait. Puis le reste du décor : la déception sur le visage de sa mère, le corps d’un Anthony de dix-sept ans arrêté en plein milieu la tête baissée sur la piste. Les mots suivent un certain chemin, ils tracent une route et nous laissent parfois l’emprunter. Les mots d’Anthony m’ouvraient un souvenir intéressant. L’analyse a franchi une nouvelle étape aujourd’hui.

 

-    Tiens c’est drôle, j’y pense, je ne sais pas vraiment pourquoi maintenant… mais j’ai reçu un mail de mon ancienne professeure de lettres en prépa. Elle me propose de revenir parler à ses élèves, c’est drôle j’avais oublié et ça me revient là sans raison. Je ne sais pas encore si je vais y aller… Olala quelle nostalgie ! Chaptal, et mon ancien appartement dans la rue juste derrière le lycée, et les cigarettes à mon balcon sur une la chanson « Porcelaine » de Moby! Haha, mon cher témoin couperait court à cette discussion… Il me dirait de ne pas y aller c’est sûr…

 

Ah tiens Chaptal, il m’en a déjà parlé. Une période marquante, la prépa ça laisse des traces apparemment. Cette fameuse professeure de géographie qui a laissé une blessure dans ton égo si important à tes yeux. Une très belle rétrospective sur toi-même, ça fait du bien. Ça pourrait être très intéressant. Se retrouver face à ceux qui sont là où tu étais à une certaine époque. Te revoir dans leurs yeux, ceux qui vivent le présent qui constitue ton passé. Ils sont en train de le vivre à cet instant précis. Seconde après seconde. Si tu regrettes ton passé, admets-le et va leur dire de ne pas répéter ton erreur. Refais ton trajet en sens inverse et accepte celui que tu es, crée le visage du nouvel Anthony qui se tiendra fier de ce qu’il a vécu devant ces adolescents. Tu verras, tu avanceras. Plus doucement c’est sûr, mais mieux.

 

-    Cette époque elle me manque, je la regrette un peu j’aimerai bien m’y revoir tiens… mais je ne sais pas vraiment

 

Bingo, on y est enfin.

 

-    Très bien Anthony, on va s’arrêter là. La semaine prochaine même heure ?

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