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ATELIER D'ECRITURE

Portraits d'Anciens élèves

du lycée Chaptal de Paris

 

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Anthony Valentini

par

Alexiane Darrigrand

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Il est quatre heures de l’après-midi. Demain, à cette heure, Anthony sera debout devant une trentaine de paires de jeunes yeux avides de détails pour nourrir leurs jugements intransigeants. Debout ou assis peut-être, il n’est pas bien sûr, mais cela lui importe peu pour le moment. En vérité nombreuses sont les choses qui lui semblent à cet instant précis bien plus importantes et suscitent en lui de troublantes inquiétudes. Troublantes oui puisqu’il a l’habitude d’être l’objet de nombreux regards et de prendre la parole devant une foule. De fait, il a fait son métier de la direction d’un groupe de personnes qui ne sont pas sans s’être fait une opinion sur leur patron. Mais il y a quelque chose dans les regards qui l’attendent, regards avertis d’élèves au naturel cruel, formés à l’observation détaillée et sans aucune pitié. Tout cela est certes un peu exagéré, mais Anthony est nerveux. S’il avait accepté de se plier à cet exercice spontané supposant de laisser voir son naturel, il était d’un naturel prévoyant, et ne savait que difficilement se retenir de demander à avoir des informations plus précises sur ce qui allait lui être proposé. Il va donc de soi que, dans un souci de faire bonne impression, il tenta de s’imaginer les questions auxquelles avaient pu penser les élèves afin de réfléchir déjà à ses réponses. Le moment venu, il ajouterait à cette préparation mentale sa chemise la plus blanche et sa montre la mieux choisie, « le tout c’est de paraître confiant » se disait-il. Après tout il l’était, et il faudrait bien plus que quelques stratégies perturbatrices pour le déstabiliser.

La première chose qui occupait son esprit, c’était son arrivée. Les cruciales premières minutes, la rencontre, la présentation, la première impression. Il est bien connu que tout est dans l’amorce, dans le départ, dans la première foulée de la course. Si la cheville se foule à peine au contact du sol, inutile de continuer de courir, il en avait fait l’expérience. Mais il ne s’agissait malheureusement pas là d’une de ces occasions de décevoir sa mère, il fallait séduire et convaincre, se montrer assez captivant et intéressant pour que des êtres si vite dissipés trouvent en eux l’envie de l’écouter pendant deux heures. Il fallait réfléchir à une amorce digne de ce nom. Peut-être fallait-il commencer par une anecdote, établir un premier rapport amical et amusant avec les élèves. Il envisageait de raconter la fois où une professeure avait repris son ami et lui alors qu’ils s’agitaient pendant un devoir. Et puis c’était une solution facile puisqu’ils en riaient encore régulièrement comme des enfants. Comme ça, les élèves verraient bien qu’il avait été comme eux et que, malgré la chemise, il ne faut pas le prendre avec trop de sérieux. Mais peut-être faudrait-il justement paraître plutôt sérieux, faire une première impression qui serait d’un professionnalisme impressionnant. Il pourrait alors commencer sa présentation en parlant de son travail, d’un évènement professionnel marquant, de son parcours peut-être ou encore de l’ampleur de ses actions. Il n’était particulièrement satisfait par aucune de ces solutions mais ne parvenant pas à trouver l’élément déclencheur de l’intérêt et s’en voyant un peu frustré, il choisit de laisser la question de l’amorce de côté. Quelles autres questions allaient bien pouvoir lui être posées ? Il devrait sûrement répondre à des questions triviales et personnelles. Pour ce qui est des prénoms de sa femme et de ses chats, ça devrait aller. Mais que répondre si l’on l’interrogeait sur ses passions ? « La littérature, évidemment. J’en suis mordu depuis petit, je vis de romans et de poésie… ». Lui-même n’était pas convaincu par ce mensonge. En vérité il ne lisait que très peu. Il voyait en ce fait l’occasion d’une plaisanterie qu’il glisserait habilement dans la conversation. En revanche il lui semblait avoir un rapport intéressant à la matérialité du livre qu’il faudrait qu’il mentionne. Les livres, c’est une présence rassurante dans sa bibliothèque, il ne les lit pas mais aime les avoir près de lui. Il songea que c’était une assez bonne réponse. Il observait déjà des digressions qui devenaient partie intégrante de ses réflexions. Mais donc, quelle était sa passion ? Réponse facile : le sport. Il aimait le rugby, et avait en quelque sorte été contraint d’aimer la boxe en quoi il avait trouvé une réflexion particulière sur la capacité de logique et de concentration d’un esprit « en zone rouge ». Oui, le sport, sous certains aspects, le passionnait.

 

Il continua ainsi pendant encore quelque temps, imaginant questions et réponses, envisageant différents scénarios afin de pouvoir se présenter au naturel mais toujours de manière contrôlée et réfléchie. Il développait les réflexions qui lui venaient le plus aisément et ne s’attardait pas sur l’éventualité de questions particulièrement déstabilisantes qui déjà le mettaient en difficulté. Quelles valeurs étaient à ses yeux les plus importantes ? À vrai dire il n’était pas sûr, et préférait passer à la question suivante, parler de son ambition, de son esprit de groupe, de son amour pour la France. Le lendemain, après une nuit passée à feindre la sérénité, le voilà en face du lycée Chaptal. Le moment venu, il posa les pieds dans la salle Prosper Goubaux, ce qui lui produisit un effet aussi prévisible qu’inattendu : il était à la fois rassuré et déconcerté par les lieux qui semblaient tels qu’il les avait laissés, seule sa place avait changé. On lui demanda alors de prendre la parole, et il se rappela tout ce qu’il avait prévu, les amorces qu’il avait rapidement passées en revue quelques minutes avant de rentrer dans la pièce. Il commença alors, non pas en évoquant l’anecdote de son ami et lui, ni par la mention de ses accomplissements professionnels, mais plutôt en parlant de l’émotion et de la nostalgie qui semblaient sans grande surprise avoir pris le dessus à son retour dans l’établissement et ponctuèrent son propos dans son intégralité.

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