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ATELIER D'ECRITURE

Portraits d'Anciens élèves

du lycée Chaptal de Paris

 

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Anthony Valentini

par

Ambre Dangy

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Happé par ses pensées, dans le nuage de fumée qui s’échappe de sa cigarette, Anthony est assis à la lucarne de sa fenêtre, au deuxième étage de l’immeuble du boulevard des Batignolles.

De là, la rue ne le voit pas, mais lui peut voir le visage de Paris se métamorphoser ; moment presque imperceptible dans lequel le jour troque l’effervescence de la nuit. 

 

Grand poétique, cet hypokhâgneux aime chevaucher les frontières des mondes de son imaginaire. Un brin rêveur, il passe des soirées entières à se projeter dans l’univers de son avenir.

Anthony perçoit le futur comme un échappatoire aux barrières de la temporalité. Dans son monde à venir, tout est possible, rien n’est contraint.

Il laisse alors ses plus profondes aspirations le submerger, et plonge dans ses ardents horizons, imaginant sa profession, son statut, sa famille, son identité. 

 

Avec les jours, les mois et les années qui filaient malgré lui et entre ses doigts, Anthony se rendait à l’évidence : le temps lui échappait et lui rappelait la cruauté de la condition humaine.

Adoucir sa vie, adoucir ce temps, adoucir les promesses non tenues et les regrets incessants. Peut-être qu’elle était là la clé.

Cet adolescent autrefois rêveur, n’avait finalement jamais mis un terme à ses récits internes. Seulement ceux-ci étaient passés d’histoires chevaleresques et utopiques, à dialogues introspectifs.

 

22h34. Les enfants sont couchés. Sa femme a éteint la lumière. La maison toute entière, dort paisiblement. C’est l’heure pour la réalité de lui offrir une trêve, courte mais saisissable. Un sourire s’esquisse sur son visage.  Son cœur se met à battre un peu plus vite. Anthony enfonce sa tête dans le confortable oreiller, ferme les yeux, et ne les rouvre que pour se retrouver dans sa chambre d’hypokhâgneux.

 

Moment qui prend la forme d’une parenthèse au carcan de sa vie. Trêve qui lui permet de pouvoir à nouveau effleurer cette utopique abolition de toute temporalité.

 

« J’ai toujours rêvé d’être un bad boy, tu penses que je parviendrais à l’être un jour ? » Le père de famille est soudainement et abruptement sorti de ses pensées, par un adolescent en train de fumer une cigarette, dans la pénombre de la fenêtre. Adolescent qui n’est autre que lui-même. Chambre qui fut la sienne, il y a maintenant des années lumières. 

 

Un vague d’amertume vient submerger l’adulte alors replongé dans les ténèbres de sa jeunesse. Comment lui dire ? Comment lui avouer la réalité de sa vie à venir, sans achever les illusions de cet adolescent encore plein d’espérances ? Comment ne pas briser le cœur d’un amoureux du temps, conquis par ses promesses envoûtantes ?

 

L’Anthony devenu père de famille décide de prendre la parole, tout en essayant de dissimuler son manque d’assurance. « Tu sais on peut suivre les sentiers battus, ne pas avoir fait un parcours brillant, vivre une vie presque trop banale, et pour autant s’estimer heureux. » Il s’apprête à reprendre la parole, mais cette fois-ci aucun son ne sort.

Un combat de regard, passé douloureux et avenir déçu se confrontent alors. L’adulte et l’adolescent plongent leurs yeux l’un dans l’autre, et se défient de leurs pupilles profondes, noires et tumultueuses. L’atmosphère de la chambre est soudainement submergée par un chevauchement d’espoir et de désespoir, d’attente et de déception, d’illusion et de désillusions, de regrets, de surprise, d’obstacles et de lutte.

Un seul mot maladroit risquerait de tout briser.

 

Après des secondes qui prennent la forme d’heures, l’Anthony qui est aujourd’hui à la tête d’une chambre de commerce, décide pourtant de mettre un terme à ce combat impossible.

Au moment où il détourne le regard, un sentiment d’apaisement l’envahit peu à peu.

 

Et si finalement il ne pouvait y avoir de défaite ni de victoire ? Et si l’un n’était pas meilleur que l’autre ? L’hypokhâgneux avec ses rêves farouches, et l’adulte réaliste avec son chemin parcouru, truffé de failles comme d’accomplissements.

 

Avec une ténacité qui lui était jusque-là inconnue, et comme s’il avait eu un moment d’absence et qu’il avait finalement décidé de continuer la course, l’adulte reprend : « Tu sais elle est peut-être là la réussite. Dans l’acceptation de qui l’on est. Dans l’acceptation d’une relation parfois conflictuelle avec le temps. Dans l’acceptation de ce que j’étais là, quand je te regarde et donc quand je me regarde, mais aussi dans l’acceptation que tu dois faire en me voyant et donc en te voyant. Je ne pense pas que l’on puisse choisir qui l’on veut être. Je pense qu’on doit faire avec ce que l’on a, et apprendre à faire preuve de résilience ».

 

Les yeux de l’adolescents comme ceux de l’adulte s’emplissent de larmes. Tandis que la vue de l’adulte se brouille, les contours de ces deux personnes s’unissent pour ne former plus qu’un.

Anthony ou plutôt les Anthony ferment alors les yeux.

 

Ça y est, ils sont ensemble. Quand il rouvrira les yeux au petit matin, peut-être que tout ça sera fini, peut-être qu’il pourra enfin aller de l’avant.

Peut-être même que ce rêve lui donnera envie de le vivre pour de vrai. Peut-être qu’il voudra retourner à Chaptal, en salle Prosper-Goubaux, afin d’entamer ce discours et de se voir à travers les yeux brillants de ces hypokhâgneux, lui rappelant cet adolescent que lui-même fut il y a longtemps. 

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