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Isabelle

Mimouni

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ATELIER D'ECRITURE

Portraits d'Anciens élèves

du lycée Chaptal de Paris

 

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Anthony Valentini

par

Isabelle Mimouni

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Anthony lit L’obscure splendeur de Raymond Famechon qu’Isabelle lui a dédicacé.

 

Décidément, je ne l’attendais pas là. Qui aurait cru qu’Isabelle pourrait s’intéresser à un obscur boxeur ? raconter l’histoire de quelqu’un qui n’existe pas, qui n’a pas laissé de trace. Quelqu’un qui n’existe pas : drôle de formule ! Quelle violence ! Qui décide qu’on existe ou pas ? Drôle de livre aussi, le format, la photo, quelle horreur ce jaune ! ça ne rentre pas dans les cases. Il ne se range pas dans la bibliothèque. Impossible de le glisser parmi les folios dont la ligne blanche et régulière me plaît tant sur l’étagère. Je le laisserai dans le tiroir du bureau, au secret. Ça ne gâchera pas la belle ordonnance des folios !!!! En fait, c’est peut-être ça qui nous unit Isabelle et moi, une marginalité invisible, ce côté lisse de l’extérieur, conventionnel, guindé, conformiste, « gendre idéal » pour moi, digne vieille dame pour elle. Oui, elle et moi, on est juste apparemment classiques : moi avec mes chemises bien repassées et mes chaussures en cuir ciré, elle avec ses bottines à talon bobine totalement démodées et son chignon blanc. Classique. C’est bizarre ce mot qu’on emploie pour les gens comme pour les livres. Mais en fait, je ne lis jamais de classiques, je me demande même si je les ai lus quand on me l’imposait en hypokhâgne ; ce qui m’intéresse, ce ne sont pas les déboires de la pauvre Eugénie Grandet, c’est la vie des prostituées... je préfère cent fois le reportage d’une journaliste infiltrée dans une maison close, que le récit d’un enfermement provincial à Saumur au XIXème siècle. Alors au fond, Famechon le boxeur looser, pourquoi pas ?

 

Dès son retour, Raymond se remit à l’entraînement, avec l’obstination qui le caractérisait.

Moi aussi, je crois je suis un obstiné. Il faut sans doute être sacrément obstiné pour tendre l’autre joue... et en remettre une dose de l’autre poing. Je dis ça, mais en fait, je ne sais pas si je suis obstiné. Je ne combats que les adversaires à ma taille. La colère de maman lorsque j’ai abandonné la course à Singapour. Son silence réprobateur pendant une semaine... Mais quoi ! courir lorsqu’on n’a aucune chance ?! ça n’a pas de sens. Même chose pour le concours. L’ENS, j’ai vite vu qu’il y avait meilleur que moi. L’important c’est de juger de la situation. Courir pour courir ? se battre pour se battre ? je ne saisis pas. Ce qui est intéressant, c’est d’avoir un adversaire à sa mesure. On ne met pas sur le ring un poids plume contre un poids lourd. Ça tombe sous le sens. Conclusion philosophique en termes de valeurs à transmettre aux enfants : La constance, oui. L’obstination, c’est à voir. L’entêtement niet. Punchline de boxeur.

 

Il restait des heures au gymnase. Il avait allongé la durée des séances et changé ses exercices quotidiens. Il lui fallait gagner en souplesse et en mobilité. Son jeu de jambes devait acquérir de la vitesse, ses mouvements du torse, de l’élasticité. Se ployer, se baisser, se relever, s’allonger, s’étirer ne devaient plus avoir de secret pour lui. Il voulait vaincre les résistances de ses vertèbres, les raideurs de ses articulations.

Je ne fais pas assez d’exercice. Pas le temps. Le temps est compté. C’est bien ça, le temps est compté, et il avance inéluctablement. Bientôt quarante ans. Ça fait mal. Et j’ai une maturité d’homme de quarante ans, ni plus ni moins. Rien à voir avec un type comme Orelsan déjà mûr quand il était jeune. Je ne sais pas comment il a fait. Oui, le temps est compté, quelle que soit la couleur du bracelet montre, les aiguilles tournent. D’ailleurs l’essentiel dans la course, c’est de partir à point, comme la tortue de la fable, et si possible même partir avant le point du jour, avant l’heure dite. J’ai eu de la chance de rencontrer l’amour à 14 ans. Quatre enfants, déjà grands alors qu’il me reste une vie devant moi. Je fais le point, je remets les pendules à l’heure. C’est peut-être ça qui m’a donné envie d’accepter ce face à face avec des jeunes en Prosper Goubaux. Retrouver une manière de penser qui s’éloigne. Retrouver leurs mots, leurs idées.  Une séquence nostalgie avant un nouveau départ. Une deuxième vie. Une vie publique. Politique ? Point d’interrogation. Il y a quelque chose qui m’arrête et je ne sais pas quoi. Ce qu’il faut c’est transformer ce point d’interrogation en point tout court. Comme on transforme un essai ? Métaphore de rugbyman, la classe. Attention au jeu de mots. Penser n’est pas jouer ni avec ni sur les mots. C’est peut-être Isabelle qui me l’a appris. Je ne me souviens pas. Bizarrement, je ne me souviens pas de ce que j’ai appris avec elle. Je sais seulement qu’elle a cru en moi, n’a pas attendu que j’aie réussi... c’est pas comme l’autre avec son « je n’aurais pas cru que quelqu’un comme vous réussirait si bien » non mais ! quelle violence une phrase pareille !... et quelle bêtise aussi, quelle arrogante bêtise.

 

Face au danseur qu’était Willie Pep, il avait compris que c’était à la danse qu’il fallait demander des leçons. Et il n’avait pas hésité à s’adresser à un professeur de danse classique qui lui réservait ses conseils éclairés sous les hochements de tête déconcertés et circonspects de son manager, Marcel. Au lieu de se contenter du saut à la corde, il se mit aux jetés, aux déboulés, aux entrechats.

Non là, Isabelle, tu n’y es pas. Rien à voir entre la boxe et la danse classique. La vitesse des déplacements, oui, la souplesse, d’accord, mais l’essentiel n’est pas là. L’essentiel est de continuer à réfléchir alors que tu viens de te faire sonner. Réussir à penser, à juger de la situation, à élaborer une stratégie, repérer les failles de l’adversaire, trouver comment le surprendre, alors que ça fait drelin drelin dans la tête. C’est ça la boxe, une étrange activité de brute qui pense, de penseur qui cogne.

Non Isabelle, tes élucubrations sur la danse classique, c’est une manière de t’approprier ce Famechon avec lequel tu n’as aucun point commun. Mais pourquoi donc t’es-tu embarquée à raconter l’histoire d’un personnage que tu n’aimes pas ? Pourquoi ? qu’est-ce que tu essaies de nous dire ?

Qu’est-ce que tu essaies de me dire ? Pour faire de la politique, est-ce qu’il faut aimer les gens ? tous les gens ? est-ce qu’un jour, je ne serai pas obligé de me raconter que tel ou tel Famechon a les qualités d’un joueur de rugby, d’un boxeur ?

 

Il était poids plume à présent, et il voulait avoir la légèreté d’un oiseau. Il savait qu’on plaisantait sur cet étrange échassier aux gants de boxe. Il avait lu dans la presse quelques remarques désobligeantes.

Il faudra que je m’y prépare aux remarques désobligeantes. Un homme public, ça prête le flan, ça laisse des parties du corps sans défense. Sans défense. Est-ce que je suis prêt à ça ?

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