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ATELIER D'ECRITURE

Portraits d'Anciens élèves

du lycée Chaptal de Paris

 

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Anthony Valentini

par

Lehna Mahdjoub

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On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve tout comme l’on n’entre jamais deux fois dans le même Chaptal, surtout quand cela fait plus de 15 ans qu’on ne n’y a pas mis les pieds.  Mon retour dans ma prépa est d’autant plus singulier qu’il se fait dans le cadre de l’annuel tour du musée qu’est secrètement cet établissement. Le tour que l’on me fait de l’école prend alors la forme d’une boucle temporelle dans mon esprit, il relie et délie des souvenirs à mesure que les pièces et leurs secrets défilent devant mes yeux. Je marche vers les mêmes salles que j’ai autrefois pu traverser tous les jours, excepté qu’elles sont aussi différentes que moi. La nostalgie de ma jeunesse trouve étrangement refuge entre ces murs si familiers. Je dirais même qu’elle donne une couleur nouvelle à mes souvenirs. Si à l'époque je ne concevais pas l’impact que cette classe préparatoire aurait sur moi, c'est sûrement que la maturité me manquait car ce retour, à 37 ans, agit comme un baume sur mes résidus d’amertume de jeune adulte. Je suis censé rejoindre la salle Prosper Goubaux mais je m’autorise à me détacher du groupe de visiteurs pour faire un détour vers la salle 64. À peine le seuil de la classe passé, les murs d’un jaune criard me font l’effet d’un choc. À part peut-être les fissures qui se sont affirmées dans les recoins des murs et le nouvel assortiment de tables et de chaises, rien ne semble avoir changé. À l’image d’une boîte dont les seuls éléments changeants sont ce qu’elle contient. Tous mes sens sont submergés par cette salle de classe, le jaune, l’odeur de tipp-ex. Les murs en seraient-ils imprégnés depuis quatorze ans ? L’odeur fait son chemin dans mon esprit mais surtout rejoint mon cœur. Si le solvant qui compose le tipp-ex et que je respire en ce moment est toxique pour mon organisme, il a pourtant été la raison d’une des rencontres les plus importantes de ma vie. Le tipp-ex a une étrange valeur à la fois essentielle et triviale pour un élève de classe préparatoire comme je l’étais, incertain et inquiet de ses moindres faits et gestes, avec une tendance à effacer bien plus qu’il n’écrit. Ne pas en avoir lors des devoirs sur table tenait-il de mes ridicules tentatives adolescentes pour paraître nonchalant ? Une insouciance de pseudo bad boy qui était, et est toujours, aux antipodes de ce qui me constitue réellement. L’odeur du solvant envahit avec la même intensité cette salle 64 que lors des contrôles il y a 14 ans, ou peut-être aura-t-elle toujours pour moi cette odeur symbolique. Dépourvu de tipp-ex en contrôle de lettres, anxieux à l'idée de ne pouvoir effacer les aberrations sur ma copie, je regardai hagard autour de moi afin que l’on me vienne en aide. L’odeur me titillait et me narguait. Tous avaient la tête plongée dans leur copie, personne pour voir ma détresse. Tous étaient sereins : ils savaient qu’ils avaient posé sur la table, près de leur feuille un tipp-ex. Moi seul, privé de l’objet magique, je me sentais défié par l’erreur. C’est alors qu’un pinceau applicateur me tapota le dos, l’odeur n’avait encore jamais été aussi proche. Je me retournai et croisai des yeux si chaleureux et amicaux qu’ils me firent oublier toute la toxicité de l’odeur de solvant. Il avait un de ces sourires narquois à la James Dean que j’avais essayé de reproduire un nombre incalculable de fois devant le miroir de ma chambre. Cela faisait certes peu de temps que j’avais intégré la classe préparatoire de Chaptal mais comment avais-je pu passer à côté d’une telle évidence ? Ce n’est que lorsqu’il rit de façon complice que je souris en retour, de nouveau enveloppé par cette odeur de tipp-ex qui venait de prendre une signification nouvelle. J’effaçai mon erreur, ce qui, certes, ne changea rien à ma note risible mais changea d’une certaine manière le cours de ma vie. À nouveau dans cette classe 64, les murs me semblent plus jaunes qu’avant mais sont toujours imprégnés d’odeur de tipp-ex. Mon téléphone sonne, c’est S. mon meilleur ami, mon témoin de mariage, mon copain de prépa, mon donneur de tipp-ex : je le rappellerai, et tout à coup, je prends conscience que notre amitié aura toujours un arrière-plan jaune et une odeur de tipp-ex.

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