Polytropiques

6H36

22 mars 2022, trente-neuvième anniversaire d’Anthony Valentini

Nantes, Rue Gambetta,

 

6h45

     À deux pas de la gare, entre le Jardin des plantes et le complexe sportif Gaston Turpin nous voilà devant la porte de la maison Valentini. En franchissant le seuil de cette demeure familiale, nous sommes immédiatement accueillis dans le salon. Ce salon, c’est la signature d’Anthony Valentini, il en a fait une pièce maîtresse qui reflète à la fois sa personnalité et ses goûts. Au petit matin, ce salon est préservé du tumulte des enfants, c’est le moment idéal pour profiter des premiers rayons de soleil qui traversent les rideaux couleurs crème. Une couleur neutre, intemporelle qui a permis à Anthony de ne se risquer à aucune faute de goût. La lumière du jour vient progressivement éclairer le mur de cadre photo, soigneusement disposé sous le canapé en acrylique gris. Celui-ci nous permet de noter à nouveau le penchant pour le style épuré, mais élégant de notre cher directeur général de la chambre du commerce et de l’industrie.

     À l’étage du dessus, alors qu’Anthony dort seul dans son lit king-size, en attendant le retour de sa femme, de garde au service des urgences, il ne tarde pas à être réveillé par Bambou, qui comme tous les matins, vient gratter inlassablement à sa porte.

 

7h00

« Trente-neuve ans putain »

     Enfermé dans sa salle de bain italienne, sous la lumière jaune du grand miroir, Anthony scrute son visage. Pour cet homme qui entretient un rapport si particulier au temps, cette date d’anniversaire n’est qu’un énième rappel de la vitesse folle à laquelle la vie défile. Pourtant, on ne peut pas dire que depuis son dernier anniversaire, la vie de ce presque quadragénaire ait été particulièrement bouleversée. Après tout, peut-être que les tempes se sont légèrement dégarnies, mais en même temps, entre son poste de directeur général, les matchs de rugby, les combats de boxe et quatre enfants énergivores, on ne peut pas en vouloir à Anthony d’y avoir laissé quelques cheveux.

      Toujours devant son miroir, Anthony finit par sortir de ses pensées en remarquant que sa lèvre inférieure est légèrement enflée. « Y m’a vraiment pas loupé ». Il se remémore alors son combat de boxe de la veille : au moment du deuxième round, 15 secondes avant la fin du match, son manque de lucidité lui a coûté un crochet du droit qui a laissé sa petite marque. En observant son reflet dans la glace, de face puis de profil, il finit par laisser s’échapper un léger rictus. Finalement, Anthony est presque satisfait de cette entaille, elle permettra peut-être au gendre idéal de pouvoir enfin se la jouer un peu bad boy.

8h15
    L’horloge tourne. Anthony s’empresse de déposer tout ce beau monde à l’école avant de monter à bord de sa voiture électrique. Le GPS indique qu’il lui faudra au moins vingt bonnes minutes avant d’arriver au 16 quai Ernest Renaud. Ça ne fait rien, Anthony profite de ce trajet pour lancer sa meilleure playlist Spotify sur le mode aléatoire, faisant ainsi se succéder les meilleurs sons d’Orelsan, de Booba ou encore des Daft Punk.
 

 

14h30
     Devant la machine à café, Anthony a le visage fermé, il se frotte les mains et ne cesse de tripoter son alliance. C’est un jour particulièrement stressant pour cet homme qui accorde une importance capitale à ce qu’on pense de lui : il présente à l’ensemble de ses collaborateurs son nouveau projet qui vise à doter tous les membres de la chambre de commerce d’un nouveau téléphone Samsung. Drôle d’idée diront certains, seulement, quand on connaît un peu Anthony, on sait que c’est un homme d’action, toujours à la recherche d’un projet avant-gardiste. Ainsi, après une longue et scrupuleuse analyse de la situation, Anthony a vu dans ce nouveau partenariat avec Samsung, un moyen de neutraliser la hiérarchie symbolique qu’il y a derrière chaque téléphone. Vêtu de son costume noir, il resserre sa cravate, la touche finale de son look sérieux, il ne lui reste plus qu’à convaincre ses 1300 collaborateurs.

 

19h45

 

C’est la fin d’une longue et éprouvante journée pour Anthony. Il aura beau se décrire comme un homme de progrès, toujours à la recherche de démarches innovantes, on ne peut pas nier qu’en réalité, Anthony comme bien d’autres, n’apprécie pas particulièrement de sortir de sa zone de confort ou du moins, il ne s’avise d'aller au bout de ce dépassement de soi que lorsqu’il sait par avance qu’il en sortira grand gagnant. Pour faire redescendre la pression, Anthony se met à nettoyer son bureau, mais se retrouve rapidement stoppé dans son élan par la sonnerie de son téléphone. Une notification Facebook. C’est Sébastien, son ancien ami de classe préparatoire. Celui-ci lui souhaite un joyeux anniversaire et en profite pour lui joindre une photo datant du 22 mars 2002 le représentant soufflant ses dix-neuf bougies au lycée Chaptal. Il n’en fallait pas plus pour que notre très cher nostalgique se retrouve propulsé vingt ans en arrière : il se revoie alors dans cette position privilégiée, celle de l’apprenant qui jouait plus souvent les prolongations de la journée au café « 3 pièces cuisine » plutôt qu’en salle 64. Alors même qu’il pourrait rester des heures à se remémorer ces souvenirs du bon vieux temps, sa montre ne tarde pas à afficher 20 h, il est l’heure pour Anthony de rentrer auprès de sa famille.

 

20h30

 

« Joyeux anniversaire Papa, Joyeux anniversaire Anthony »

Au-dessus du gâteau d’anniversaire réalisé par ses enfants, le visage d’Anthony est éclairé par les bougies qu’il s’apprête à souffler. «Fais un vœu papa ! ». Mais que pourrait-il souhaiter de plus ? Anthony le dit d’ailleurs volontiers lui-même, c’est un homme « aligné ». Accompli professionnellement, marié à son amour de jeunesse et père de quatre enfants à qui il s’efforce de transmettre chaque jour les valeurs qui lui tiennent à cœur, on peut dire qu’Anthony ne s’en sort pas si mal pour un homme sur qui ON n’avait misé.