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Isabelle

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ATELIER D'ECRITURE

Portraits d'Anciens élèves

du lycée Chaptal de Paris

 

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Anthony Valentini

par

Emma Cohen

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Lettre à Mme ***

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Chère Madame,

 

J’ai longtemps gardé pour moi tout ce que je souhaitais vous dire, mais j’ai l’impression qu’il est temps d’être honnête et de me débarrasser du poids que cet épisode a eu dans ma vie. Pour comprendre où je veux en venir, il faut revenir plusieurs années en arrière. Mes années de prépa.

Ce furent de très belles années et j’en garde un bon souvenir. Mais, je vais l’admettre, j’ai eu un rapport assez ambivalent aux études. D’un côté, il y a des scènes que j’aimerais bien revoir et qui me font sourire lorsque j’y repense. Et d’un autre côté, je reste avec des regrets. Pas de grands regrets qui remettent ma vie en question, je me dis simplement que j’aurais pu mieux faire. J’aurais pu m’investir davantage, mais la vérité est que j’ai eu l’impression de me sentir dépassé, comme si je devais courir un cent mètre et que je voyais tous mes concurrents déjà loin devant.

J’ai du mal à reconnaitre la personne que je suis aujourd’hui dans cette description. En vieillissant je me suis rendu compte de beaucoup de choses, et j’aime à penser que j’ai changé. Peut-être même que sur ce point je ne suis plus du tout le même. Je vois le travail comme une ressource qu’il faut cultiver au quotidien. Je suis épanoui dans ce que je fais et j’ai l’impression que cela contrebalance mes regrets passés.

 

Cependant, il y a quelques années, lorsque je vous ai revue, je me suis retrouvé comme le jeune homme que j’étais en prépa : dépassé. Vous êtes parvenue à me faire douter. De moi, mais aussi de mes capacités. J’ai l’impression d’avoir réussi à dépasser ce doute, qui ne me ronge plus aujourd’hui. Mais l’Anthony de prépa, déjà compétiteur, avait dû accuser le coup. Peut-être est-ce de là que m’est venue cette passion pour la boxe ? Une envie de montrer que l’on peut se relever même après avoir reçu un coup qui aurait pu casser le nez.

Je me perds. J’aime à me perdre dans mes souvenirs. Mais si j’écris cette lettre c’est pour parler d’un souvenir en particulier.

Lors d’un devoir, je me suis senti comme un CP se faisant réprimander pour une bêtise. Une plaisanterie avec un camarade, rien de bien méchant en y repensant. Vous avez joué votre rôle. Vous m’avez sermonné, peut-être à tort, peut-être pas, là n’est pas la question. Certes ce blâme public m’a touché, mais j’aurais pu passer au-dessus sans grand problème. Tout le monde s’est déjà retrouvé dans cette situation.

Le pire, c’est ce qui a suivi.

 

Quelques années après, ce petit désagrément avait déjà été englouti dans les abysses de ma mémoire.

Une fois établi dans le monde professionnel, je vous ai recroisée. Vous revoir a pu raviver un peu de rancœur, je ne vous le cache pas, mais pas assez pour que je ne vienne pas vous saluer. S’en suit une discussion, cordiale. Vous me demandez ce que je suis devenu, je vous raconte. Ce sont les mots que vous avez prononcés ensuite qui m’ont longtemps hanté. Je me rappelle encore distinctement ce que vous m’avez dit. Je ne saurais pas expliquer ce qui m’a le plus blessé, vos paroles ou le jugement perceptible dans votre voix, qui était remplie de surprise, d’ironie et de mépris. Je peux encore retranscrire mot pour mot vos paroles.

« Je n’aurais pas misé sur vous ». C’est dur à encaisser. Je ne sais plus comment j’ai réagi. C’est étrange, comment un instant peut vous marquer et le suivant disparaitre complètement. J’y ai beaucoup pensé, à cette phrase. Il faut peser ses mots, car ils peuvent être bien plus blessants qu’on ne le pense. Je fais attention aux mots que je choisis, je ne veux pas qu’ils puissent véhiculer autre chose que ce que je veux réellement exprimer. Je ne sais pas si vos mots étaient ce que vous pensiez vraiment, et je ne le saurais sûrement jamais. Mais il n’empêche qu’ils m’ont suivi, longtemps, tel un boulet au pied. A présent, je dirais qu’il s’agit plus de fantômes, ils se sont estompés, mais ils sont toujours là quand je regarde derrière.

Ce que vous m’avez dit fait partie des cinq choses qui m’ont le plus blessé dans la vie. C’est pour vous dire l’impact que vos mots ont pu avoir.

 

Je suis en train de me rendre compte que cette lettre me met dans une position très vulnérable. Je me livre beaucoup. Beaucoup trop peut-être. Qu’importe, vous ne recevrez sûrement jamais ce témoignage. C’est plus pour moi finalement. Pour prendre du recul, pour oublier ce qu’il s’est passé. Pour me dire que cet « incident » n’a pas défini ma vie. J’y ai probablement porté trop d’importance, et c’est pour cela que je souhaite m’en détacher aujourd’hui.

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