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ATELIER D'ECRITURE

Portraits d'Anciens élèves

du lycée Chaptal de Paris

 

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Anthony Valentini

par

Stella Devincenzi

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 Brouillon d'une lettre à Mme***

 

Chère Madame,

 

 

 Vous ne recevrez probablement jamais cette lettre, mais je crois que coucher sur le papier les sentiments qui m'animent à votre égard me fera le plus grand bien. Cela fait des années maintenant, depuis mon passage en classe préparatoire. Vous m'avez sûrement oublié, rangé dans le tiroir de votre mémoire que vous réservez à la pléiade d'élèves qui ont parsemé votre carrière et auxquels vous ne pensez plus. Parce qu'à vos yeux c'est sans doute de ce genre d'élèves que je fais partie, de ceux qui ne méritent pas votre considération, qui au fond ne l'ont jamais mérité : les insignifiants.

Oui, le temps est passé, et pourtant je n'ai jamais pu oublier. « Oublier quoi ? » Voilà sans doute ce que vous me demanderiez, trop fière pour envisager un seul instant que vous ayez pu faire une erreur. Et pourtant, des erreurs vous en avez faites, que dire de ce jour de concours de géographie où vous m'avez humilié devant l’ensemble des élèves de la salle Prosper Goubaux.

C'est selon moi l'un des nombreux moments où vous avez failli à votre tâche, en tant qu'enseignante, bien sûr, vous avez manqué d'une pédagogie qu'à votre âge vous auriez pourtant dû acquérir de nombreuses années auparavant.

Mais c'est surtout humainement que vous avez failli et à ce sujet, je ne peux plus rien pour vous. Certes, je n'étais à l'époque encore qu'un gamin qui sortait à peine de l'adolescence et je peux comprendre que mon attitude vous ait parue frivole. Néanmoins, vous m'avez repris avec une violence inouïe qui m'a laissé scotché. Jamais personne ne s'était permis de me parler comme vous l'avez fait.

Je me suis senti rabaissé à un point que vous ne pouvez imaginer, je peux encore ressentir le regard méprisant que vous avez posé sur ma nuque alors que je baissais la tête pour me remettre au travail. Y repenser suffit d'ailleurs pour que je sente ma colère refaire surface. Vous n'aviez pas le droit de me traiter de la sorte, comme un gamin, un moins que rien.

J'ai nourri dès cet instant une profonde animosité à votre égard, animosité qui était d'ailleurs partagée. Je peux l'écrire aujourd'hui : vous ne m'aimiez pas, et, dans l'hypothèse peu probable où vous seriez tiraillée par le remord, laissez-moi vous épargner ces scrupules : je ne vous aimais pas non plus.

Pour être très honnête, je crois même que j'ai fini par nourrir envers vous une profonde aversion, si bien que quelques années plus tard, lorsque j'ai commencé la boxe, il m'arrivait souvent de vous imaginer à la place de mon punching-ball. C'était ma catharsis et dieu sait que j'en avais besoin.

Je tiens d'ailleurs à vous remercier sur ce point car c'est sans aucun doute en partie grâce à vous que j'ai si vite progressé en boxe. Croyez moi, imaginer votre voix criarde et votre nez de sorcière au milieu du sac de frappe m'a toujours été d'une grande aide lorsqu'il s'agissait de me motiver.

C'était pour moi le moment de prendre ma revanche, ou plus exactement la revanche du petit Anthony de 18 ans que vous aviez humilié sans la moindre considération. Je n'étais qu'un gamin après tout, je faisais mon possible pour paraître cool, mais au fond j'étais à la recherche d'une forme de reconnaissance, j'avais besoin d'être rassuré et je me souciais bien trop de ce que l'on pouvait penser de moi.

C'est d'ailleurs sans doute pour cela que vos mots m'ont tellement marqué. L'humiliation publique que vous m'avez infligée ce jour-là a résonné pour moi comme une gifle, gifle que je me suis depuis appliqué à vous rendre face à mon punching-ball.

Néanmoins, ce que j'ai à vous reprocher ne s'arrête pas là, la liste est d'ailleurs longue et je ne m'attarderai pas à décrire chaque moment où vous avez failli à votre tâche d'enseignante, je ne peux cependant pas nier que sur ce point il est certain que vous y êtes allée de bon cœur et n'avez jamais manqué une occasion de déverser sur moi vos mesquineries.

Pourtant, lorsque des années plus tard je vous ai recroisée à Chaptal, c'est armé de bons sentiments que je me suis présenté devant vous pour vous saluer. J'ai tenté d'entamer une conversation, pensant naïvement enterrer nos vieux différents. Néanmoins vous ne m'en avez pas laissé le temps et votre méchanceté d'antan a vite refait surface lorsque, alors que je vous faisais part de mon parcours, vous m'avez rétorqué : « Je n'aurais pas misé sur vous ! ». Cette phrase m'a laissé sans voix, je me suis senti transporté à cette époque où un seul de vos regards méprisants suffisait à me faire douter de moi. J'ai été frappé par la violence gratuite des mots que vous veniez de m'asséner et qui flottaient encore sur vos lèvres, accompagnés d'un sourire ironique.

Ah ça, vous étiez contente de vous !

C'est là que j'ai réalisé que vous n'aviez pas changé, les années avaient beau être passées, vous étiez pourtant restée la même peau de vache que celle que j'avais connue.  Votre voix criarde n'avait pas bougé, tout comme ce nez crochu que j'avais pris tant de plaisir à imaginer durant mes entraînements de boxe. Mais vous n'aviez plus sur moi le même pouvoir, votre avantage hiérarchique avait disparu, il ne restait plus que cette mesquinerie qui vous caractérise si bien.

Là où vous aviez stagné, j'avais moi évolué, je m'étais épanoui et me présentais devant vous en homme accompli.

C'est du moins ce dont j'ai essayé de me convaincre en rentrant chez moi, trop fier pour admettre que votre méchanceté m'avait de nouveau ébranlé.

Je peux dire avec le recul que cet épisode fait sans doute partie des cinq moments les plus blessants de ma vie, à tel point qu'il m'arrive encre d'y repenser aujourd'hui. C'est dire à quel point vos paroles m'ont hanté.

J'ai voulu écrire cette lettre afin d'enfin avouer tout ce que je n'aurais à l'époque jamais osé laisser franchir mes lèvres. C'est une forme de catharsis si vous voulez, je vous conseille d'essayer, ça soulagera votre conscience. Je me sens comme libéré d'un poids, c'est fou ce que ça soulage, c'est presque aussi thérapeutique que lorsque je vous imaginais sur mon punching-ball. Cette lettre n'était pas une si mauvaise idée que ça finalement, quoique…

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