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DISPOSITIFS

Le commun des mortels

 

 

Carte 11

 

Il y en a qui font de gros héritages.

Ça leur tombe un jour du ciel, un grand oncle inconnu meurt, il était richissime. On n’a pas de douleur, pas de culpabilité, on tire des plans sur la comète et on se met à compter. Les gros morceaux : les comptes en banque, les contenus des coffres, les montants des assurances, les biens immobiliers qu’on évalue grosso modo (un appartement à Passy —1 million d’euros, 6,5 millions de francs, ça fait encore plus plaisir en francs ; un appartement à  Thonon-les-Bains — on ne sait pas le nombre de pièces, mais s’il y a vue sur le lac, ça vaut de l’argent, il suffit de regarder sur Internet pour le constater). On n’arrive même pas à faire l’addition. Alors on se replie sur les petits morceaux : les services en argent, les Biscuits, le Poulbot (signé), les faïences de Gien, le Daum, les tableaux pompiers de peintres qu’on ne connaît pas mais qui figurent dans le Bénézit, les chandeliers en bronze, le bureau Boulle avec sa marqueterie rouge et dorée,  et tout l’électro-ménager, le réfrigérateur, l’aspirateur, le robot multifonction à programmation assistée par ordinateur, le mixeur, la sorbetière, le four à micro-onde, l’épluche-légume électrique et le ratatine ordure.

 

Il y en a qui font de petits héritages, la tante qui les a élevés meurt. Elle leur manque, Ils pleurent. Ils se rappellent les temps heureux où elle leur racontait des histoires. Elle ne laisse derrière elle que quelques vêtement usés, un vieux service de porcelaine ébréchée qui vient de Nemours en Algérie et une petite  bibliothèque, remplie de classiques qu’ils ont déjà : Montaigne, Pascal, Voltaire, Balzac, Hugo, Proust... des livres qu’elle leur a fait découvrir, dont ils ont parlé ensemble : elle, rassemblant ses vieux souvenirs et éclairant les textes de la mémoire qu’ils lui ont laissé, eux s’émerveillant de découvrir la lune. Le coeur serré, ils prennent les oraisons funèbres, une page s’ouvre toute seule, un passage a été souligné : Stringebam brachia, sed jam amiseram quam tenebam ; je serrais les bras, mais j’avais déjà perdu ce que je tenais.

 

Moi, j’ai la haine en héritage. 

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