top of page

DISPOSITIFS

Le commun des mortels

 

 

Carte 5

​

 

Ça vous intrigue, hein, ce que je suis en train de faire ! vous me jetez des coups d’oeil obliques, l’air de rien, n’est-ce pas ; et moi, je fais celui qui ne remarque pas, je continue tranquillement, normalement, en toute simplicité.

La pensée a germé un beau matin : mon collègue a sorti son agenda et nous nous sommes rendu compte que nous avions le même. Rien d’étonnant, il faut dire. Deux clercs de notaire de la même étude ont eu la même idée : ils ont choisi un modèle élégant et discret, quelque chose comme l’agenda de la pléiade, recouvert de simili-cuir avec une tranche dorée.

Nous avons comparé nos emplois du temps pour prendre un rendez-vous commun. Il y avait là deux vies, deux vies différentes prises dans un même moule. Elles étaient pareillement organisées, demi-journée par demi-journée, heure par heure, avec des numéros de téléphone, des mots rayés, des hiéroglyphes sibyllins  entourés en rouge, des plages de quelques jours entièrement barrées, des dates soulignées, des dates d’anniversaire ?

Mon collègue a remis son agenda dans la poche de sa veste, et sans doute, pour lui, ce fut tout.

Donc, j’ai deux agendas que je consulte et que je remplis parallèlement sous vos yeux. J’ai deux agendas, l’un noir, l’autre brun, discrets, à tranche dorée. J’ai deux agendas pour ma double vie, pour mes deux vies.

Le projet est concerté. Je n’écris pas la même chose dans les deux, je réfléchis, je juge quelle activité convient mieux à l’un, quelle occupation correspond mieux à l’autre. J’essaie de rester cohérent : de tous ceux qui gigotent en moi, il restera au moins deux hommes, dont je construis la trace : lundi noir, 10 heures = succession Derpieux, 17 heures = vente Chapon/Sagot ; lundi brun, 14 heures = inventaire à l’hôtel des d’Orléans.

C’est mon don d’ubiquité, plus tard quand je n’aurai plus rien à écrire dans aucun des deux agendas, je raconterai mes vies : j’ouvrirai mes carnets, et en me fiant à ce que j’ai consigné, je raconterai la vérité.

​

​

​

Retour au jeu de cartes

​

​

​

ACCUEIL

​

​

LECTURES

​

​

DISPOSITIFS

​

​

CHAMPS LIBRES

​

​

CONTACT

bottom of page