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DISPOSITIFS

Le commun des mortels

 

 

Carte 7

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Il y a des fardeaux dont on ne devine pas le poids, on les charge sur les épaules, et c’est à peine si l’on sent la gêne. Les muscles bandés, avec l’énergie du matin, on les soulève comme on enlève du sol une enfant de deux ans, au squelette gracile — on la lance dans les airs, c’est une plume —. Cependant, lorsque la marche se prolonge, on ressent sur le cou une douleur d’abord ténue, puis de plus en plus sourde, on tente de déplacer la charge, de la changer d’épaule, mais rien n’y fait, ce supplément de poids  vous écrase. On voudrait tout poser là, se débarrasser du paquet devenu encombrant. Il est trop tard, on est allé trop loin, il faut le transporter jusqu’au bout. On se dit alors que peut-être on a surestimé ses forces.

Il y a des charges dont on ne se défait pas. Soutien de famille. Un nom, un statut juridique : on a vingt ans, on s’engage sous les drapeaux et l’on fait bénéficier sa famille des allocations versées par l’Etat. On a vingt ans, on s’engage dans un métier capable d’assurer la subsistance de tous ceux qui se pendent à vos basques, qui s’accrochent à vous, à votre force de travail... laquelle est inépuisable. On est responsable, on le sait, on s’en vante : on l’affiche comme on arbore une médaille dorée, épinglée sur la poitrine. 

En contrepartie, on a le pouvoir. Le chef de famille décide, le chef de famille dépense comme il l’entend l’argent qu’il gagne à la sueur de son front. Le chef de famille a le droit de mettre les pieds sous la table. Il a le droit d’être de mauvaise humeur, de se mettre en colère au moindre prétexte : il est fatigué. Il jure par la serpette de son père : c’est le maître de maison. Une maison et ses habitants qui sont sous sa dépendance, et qui, le temps passant, se mettent à peser, d’un poids qui parfois semble insupportable. On voudrait pouvoir tout laisser là, quitter la table de jeu, abandonner la partie dont on n’avait pas deviné la longueur,  on voudrait pouvoir dire qu’on s’est engagé inconsidérément, qu’en fait on n’a pas la force, que c’est trop lourd.

Il est trop tard.

Il faut porter.

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