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DISPOSITIFS

Le commun des mortels

 

 

Carte 10

 

Tu me demandes comment ça se dit la haine conjugale ? eh bien je vais te le dire, moi, ça ne se dit pas, ça se verse, ça se déverse, comme un seau d’eau souillée après qu’on a passé la serpillière :  tu te lèves et tu te penches pour lui dire que tu ne peux plus supporter sa sale gueule de bourgeois de gauche, d’anarchiste de carrière, qu’il pue l’évier bouché, la décomposition d’ail mal digéré et le tabac froid, que tu ne peux plus supporter les rainures brunes de ses dents jaunies arasées par le temps et les grincements crispés de ses mâchoires qui bruxent, que tu n’as plus l’intention de ramasser ses rognures d’ongles rongés abandonnées aux cendriers qu’il trouve élégant de tirer dans les cafés bobos pour faire collection et bavasser avec les copains sur comment ça émoustille de braver l’interdit, que tu ne rangeras plus dans le placard les défroques informes qui portent l’empreinte de ses lordoses et les pellicules qu’il s’épouille consciencieusement, que tu es prise de nausée quand tu manges devant sa moustache sur laquelle tressaute un grain de riz, une miette de pain, de la fibre de rillettes pur porc, que tu ne peux plus approcher le torchon du rebord d’un verre que ses lèvres grasses ont marqué, que tu ne peux plus voir les poils de sa barbe sur l’émail blanc du lavabo que tu as soigneusement astiqué, que tu ne peux plus voir son corps, même à l’état de trace, qu’il faut qu’il s’essuie, qu’il disparaisse.

 

C’est comme ça que ça se dit la haine conjugale.

Mais tu ne diras rien, tu rentreras tout ça au plus profond de toi dans un recoin bien caché. Au mieux, tu te mettras face à lui, et de ta main qui ne sait pas tuer, tu ratatineras un papier cellophane de paquet de cigarettes qui traînait là, tu le lanceras vers sa gueule de vieux carlin poussif et il retombera ridiculement mou près de toi. T’auras même pas la rage suffisamment constante pour l’empoisonner au jour le jour, comme Thérèse.

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