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DISPOSITIFS

Le commun des mortels

 

 

Carte 24

 

Ils sont assis l’un et l’autre, et ils gobent tout, tout ce qui passe à portée, sans discernement aucun, du matin au soir, du soir au matin, hiver comme été, printemps comme automne. Lui, il avale les sucreries, chocolats, caramels mous, caramels durs, gâteaux secs, pâtes de fruits, carambars, fraises tagada, tout ce qui se grignote en continu sans se cuire, il avale à s’éclater la panse, à se déclencher le diabète, à se carier l’ossature ; elle, elle engouffre les meubles dépareillés, les objets insolites, les instruments de musique désaccordés, tout un bric-à-brac inutile, de la broutille pour vide-grenier rural, elle engouffre à s’en péter la sous-ventrière, à s’en fissurer les murs, à en dégorger le trop plein dans la cour. Deux géants insatiables qui étanchent ensemble leur appétit insapide. Deux avares géants, en phase terminale, qui retiennent tout, les pâtés congelés depuis dix ans au fond de la glacière, les pots de yaourt périmés au fond du réfrigérateur moisi, les paquets de farine avariés, charençonnés

dans les placards entr’ouverts,

les emballages d’aluminium scrupuleusement lissés et repliés, les piles de recettes

de pâtisseries chocolatées imprimées

sur des rectangles de carton brun crafté,

les bouteilles aux formes originales,

les bouteilles aux formes normales,

les morceaux de vaisselle à recoller,

les têtes de sanglier empaillés, toute

une collection de buffets, vaisseliers, chiffonniers, en tout genre, tout lieu, toute époque. Les objets semblent avoir surgi spontanément du sol, des murs,

des étagères, dans tous les angles, comme des viornes qu’on aurait engraissées, et qui se seraient fossilisées sur place. Ils sont recouverts d’une couche de poussière suffisamment grasse pour leur conférer une matité définitive en laquelle la lumière s’absorbe, s’étouffe, et s’éteint, même en plein été. L’œil bute sur les choses,

le pied trébuche dans le capharnaüm.

La caméra ne poussera jamais son impossible chemin entre les polypes qu’il lui faudrait détruire pour progresser, mais dont le foisonnement cancéreux ôte toute chance d’élimination radicale.

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