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Isabelle

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ATELIER D'ECRITURE

Portraits d'Anciens élèves

du lycée Chaptal de Paris

 

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Emilie

par

Lynda Litan

Emilie par Lynda .png

La scène est dans la pénombre, un tabouret au centre de la scène. On voit arriver une jeune femme blonde.

 

Émilie, en s’asseyant sur le tabouret. — Bonjour à tous, merci d’être venus nombreux ce soir. C’est la première fois que je me tiens sur scène en tant qu’ Émilie sans incarner un personnage et que je me livre…

 

Ses yeux se baladent dans le public.

 

Émilie, la voix tremblante. — Ça me fait vraiment tout drôle de me tenir face à vous tous et de me dire : « Émilie, tous ces gens sont ici ce soir pour t’écouter parler de toi ».  Je vous avoue que j’étais vraiment stressée de monter ce soir sur scène. (Prise d’un rire nerveux.) C’est totalement ironique venant d’une comédienne dont le quotidien est de monter sur scène, n’est-ce pas ?

 

Une lumière s’allume sur un espace plongé dans la pénombre quelques instants avant.

 

Émilie. — Bon quand il faut y aller, il faut y aller…

 

Elle se lève du tabouret pour s’approcher du centre de la scène où sont posés quelques objets.

 

Émilie. — Alors j’ai apporté des objets qui me sont chers… je me suis dit que je pourrais m’appuyer dessus pour vous parler de moi. N’hésitez pas à réagir non plus, je veux vraiment qu’on instaure un échange entre vous et moi.

 

Elle prend une grande inspiration.

 

Émilie. — Depuis l’âge de 12 ans je savais que je voulais être comédienne et pourtant après le lycée, je ne me suis pas du tout dirigée vers ça. Quand on y pense, c’était quand même mon rêve depuis mon plus jeune âge ! Mais voilà, j’étais jeune. C’est bien connu la confiance en soi et l’adolescence ne font pas bon ménage, mais alors avec des parents inquiets, je n’étais pas du tout prête à me lancer si vite. Pour le dire plus simplement : j’étais TER-RI-FIÉE.

 

Elle brandit un ouvrage dans ses mains au public. C’est une édition des Fables de La Fontaine.

 

Émilie. — Je ne regrette pas ces années en prépa littéraire, elles m’ont été précieuses et enrichissantes. Ne serait-ce qu’avec les Fables de La Fontaine que j’ai ici entre mes mains, cette œuvre a bouleversé ma façon de voir les choses. Si j’ai un seul livre à vous conseiller, ce serait lui sans hésitation.

 

Des murmures d’incompréhension s’élèvent dans le public.

 

Émilie. — Ok ok, je vois déjà quelques mains se lever pour me contredire. Laissez-moi m’expliquer : on est vraiment loin du schéma qu’on nous répète depuis notre enfance. Justement tout n’est pas tout noir ni tout blanc. On ne peut pas résumer la fable « Le Loup et  l’Agneau » ainsi : le Loup est le méchant et l’Agneau la pauvre victime. Je préfère cette vision-là du monde : nous, les Hommes, sommes faits de teintes de gris plus ou moins foncées.

 

Une main se lève dans le public. Émilie lui fait signe qu’elle peut se lancer.

 

SPECTATRICE. — Qu’en était-il du théâtre alors durant cette période ?

 

Émilie sourit face à son inquiétude.

 

Émilie. — Oh ne vous inquiétez pas, le théâtre est toujours resté dans un coin de ma tête. C’est vrai que je n’en parlais pas, j’avais peur de… enfin pour tout vous dire… j’avais peur que si j’en parle à qui que ce soit, mon rêve ne se réalise pas ! (Elle bredouille.) Je sais que ça peut paraître très étrange, Émilie superstitieuse hein ? Mais voilà, c’était la Émilie de 18 ans.

 

Elle sourit.

 

Émilie. — A présent je sais que si à l’époque j’avais partagé mon rêve à quelqu’un, cela ne m’aurait pas empêché de le réaliser… rien que d’y repenser, je souris. Aujourd’hui je n’ai qu’une envie, c’est de prendre cette Émilie dans mes bras et de la rassurer !

 

Le public est touché par cette attitude.

 

Émilie. — Mais bon, ça ne s’est pas arrangé en venant à Paris. La petite provinciale pleine de complexes n’avait pas été préparée à un tel décalage. Oh ! Je pense que je peux retrouver une photo de moi à cette époque.

 

Émilie fouille dans sa poche pour en sortir un portable.

 

Émilie, les yeux rivés sur l’écran. — Alors… pas celle-ci… oh je me rappelle de cette photo !

 

Elle brandit le téléphone vers le public.

 

Émilie. — Alors, voici une photo de moi le jour de la rentrée. Je me souviens l'avoir envoyée à ma mère juste avant de partir, je lui avais fait part de mes craintes : j’étais effrayée à l’idée de ne pas trouver des personnes qui me ressemblent. (Elle se reprend.) Pas qu’on doive se ressembler pour s’entendre bien-sûr ! Tout le monde était gentil quand j’y pen...enfin non pas tout le monde mais en soit... bon, il y avait bien quelques pestes, j’avoue ! Elles ressemblaient à peu près à ça.

 

Elle prend la pose, mâche la bouche ouverte et lève les yeux de manière exagérée en mettant en avant sa manucure. Le public rit.

 

Émilie. — Je vois que certains d’entre vous sont familiers à ce type ! Plus sérieusement, après ces belles années scolaires, je n’attendais qu’une chose, c’était de faire du théâtre ! Mais pas n’importe quel cours de théâtre, le travail du corps devait y être au centre.

 

Elle montre au public une paire de ballerines et une ceinture de wushu. 

 

Émilie. — Eh oui, j’avais envie… enfin plutôt besoin même de coupler le théâtre à la danse et aux arts martiaux. 

 

Une main se lève à nouveau dans le public.

 

SPECTATEUR. — Est-ce que vous voudriez bien nous faire une démonstration de danse ?

 

Émilie, décontenancée. — Oh… euh… oui… je n’avais pas prévu ça mais pourquoi pas, cela peut achever la représentation en beauté ! Je vous préviens d’avance, je n’en ai pas fait depuis longtemps.

 

Elle enfile les ballerines et entreprend quelques échauffements. La luminosité fléchit peu à peu. Elle s’élance avec quelques pas élégants qui se meuvent bientôt en une chorégraphie improvisée. Elle finit par ralentir la cadence et s’arrêter.

 

Émilie, reprenant sa respiration. — J’espère que ce n’était pas trop mauvais… avec la rédaction de mon roman, j’ai laissé de côté le wushu et la danse. J’étais en train de me dire que ça serait bien de terminer cette soirée sur une dernière question de votre part.

 

Le public paraît réfléchir. Une enfant se lève.

 

SPECTATRICE. — Je… je voulais vous dire que vous êtes vraiment très belle…

 

Émilie, arborant un doux sourire bienveillant. — C’est adorable, merci. Tu voudrais me poser une question ? 

 

SPECTATRICE. — Oui... vous avez fait tellement de choses, je me demandais comment vous vous voyez dans dix ans...

 

Émilie, pensive. — Bonne question… je crois que je ne me vois pas, je rêve beaucoup trop de plein de choses… j’espère au moins réussir à publier plusieurs romans et à tourner mon film… Et je crois que j’espère me souvenir de cette belle soirée dix ans plus tard.

 

SPECTATRICE. — C’est beau…

 

Émilie. — Je trouve aussi que c’est une belle touche sur laquelle nous pourrions finir…

 

La foule acquiesce.

 

Émilie. — Merci encore d’être venus.

 

Émilie finit avec une révérence. L’enfant se met à l’applaudir timidement. Bientôt la foule entière se lève pour applaudir. Noir sur la scène.

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