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Isabelle

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ATELIER D'ECRITURE

Portraits d'Anciens élèves

du lycée Chaptal de Paris

 

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Emilie

par

Valentine Bennetot-Deveria

Emilie par Valentine.png

Six jeunes femmes firent leur entrée les unes après les autres dans une grande salle lumineuse, venant toutes s’asseoir sur six chaises disposées en arc de cercle au milieu de la pièce. Après quelques minutes, elles étaient toutes arrivées et assises, se dévisageant brièvement d’un air suspicieux. Mais plus que sur les autres personnes près d’elles, l’attention de chacune se porta sur un objet assez inattendu. Un grand panneau ovale en bois se dressait sur un pied au centre de l’arc de cercle, leur faisant face à toutes. Au pied du panneau, six larges morceaux de verre recouverts d’une fine couche d’aluminium. Sur le panneau, un post-it : « Faites connaissance :) j’ai besoin de vous ». D’un air inquisiteur, les jeunes femmes échangèrent de nouveaux regards, et chacune saisit un débris de verre d’une main hésitante. L’une d’elles, visiblement plus jeune, leva le morceau de verre à hauteur de ses yeux, mais aucune image n’apparut sur la surface. Tandis que la jeune femme rebaissait les mains, un silence se posa sur le groupe. Le cliquetis d’un stylo vint rompre l’atmosphère pesante, puis la femme qui le tenait entre ses doigts prit la parole d’une voix douce et posée :

« Vous aussi, vous avez reçu un mot qui vous disait de venir ici ? »

Le silence retomba sur le groupe, quand une autre voix s’éleva :

« Moi oui.

- Moi aussi. » dit une autre femme.

Ainsi, elles semblaient toutes avoir été appelées ici. La jeune femme munie d’un stylo se leva délicatement, et s’approcha du panneau. Elle répéta les mots manuscrits sur la note de papier dans un murmure. Elle se retourna alors vers les autres, et dit d’un ton plus assuré qu’auparavant :

« Bon, eh bien… je ne sais pas qui nous a fait venir ici, mais j’ai lu suffisamment de bouquins pour me dire qu’on devrait faire ce qu’on nous demande.

- Tu crois vraiment ? demanda la fille plus jeune que les autres, enfoncée dans sa chaise.

- On n’a rien à perdre, répondit une autre femme en haussant les épaules, quelques feuilles agrafées qui ressemblaient manifestement à un texte de théâtre en main. Bon, bah je me lance : pour faire simple, je suis comédienne, j'aime faire des imitations et incarner des personnages féminins complexes et forts lorsque je suis sur scène. Enchantée de vous connaître, j'espère qu'on pourra s'entendre.

- Moi de même, reprit celle qui était debout en se rasseyant. Je suis écrivain ! J’écris souvent le soir, c’est plus calme et ça me laisse mes journées de libres, expliqua-t-elle en faisant tourner son stylo entre ses doigts fins.

- Pour moi, c’est tout l’inverse, continua une femme pleine d’énergie vêtue d’un tablier. Je travaille dans un restaurant la journée, et je profite de mes soirées pour me reposer ! Ce que je préfère, c’est faire des gâteaux et des salades, finit-elle d’un sourire.

- Est-ce qu’on va vraiment toutes se présenter comme ça, les unes après les autres… ? Ça ne dérange que moi, que l’on ait été appelées ici sans explication simplement pour « faire connaissance » ? Vous comptez juste sagement vous présenter, vous ne préféreriez pas être des nanas libres qui ne se laissent pas dicter leur conduite ?

- Un peu de retenue, enfin ! Quelques leçons de danse classique auprès d’Eva Saint Paul pourraient t’aider à canaliser toute cette énergie débordante de rébellion… lui répondit une femme dont les cheveux étaient soigneusement réunis dans un impeccable chignon serré.

- Je fais du wushu, un art martial qui me suffit largement à faire sortir mon énergie, merci bien. »

La jeune fille enfoncée dans sa chaise les regardait se disputer avec un regard perplexe.

« Quelle confiance en elles… susurra-t-elle pour elle-même. Quand je pense que depuis que je suis à Paris, je me sens comme la petite provinciale pleine de complexes… Je ne sais pas si je les envie ou bien si elles me rappellent ces pauvres types pédants de mon école de commerce…

- Tu as dit quelque chose ? demanda la pratiquante d’art martial.

- Non, rien… je- Aïe !

- Tout va bien ? s’inquiéta la comédienne.

- Je crois que oui, je me suis juste coupé l’index avec ce morceau de… miroir ? »

La fin de sa phrase sembla incertaine, et elle leva de nouveau le débris de verre au niveau de ses yeux. Cette fois, le reflet de son propre visage apparut sur la surface couverte d’aluminium.

« Je suis sûre qu’en observant cet objet tout à l’heure, il ne réfléchissait pas… Est-ce que vous avez remarqué quelque chose ?

- Tu as raison, je vois aussi mon reflet désormais ! »

Comme par instinct, la plus jeune se leva, et vint placer son morceau de miroir tout en bas du panneau. La femme vêtue d’un tablier suivit son exemple, et emboita son morceau juste au-dessus, toujours à plat contre la grande plaque de bois. Les unes après les autres, les quatre autres firent de même, et le bois fut entièrement recouvert des morceaux, révélant maintenant que ce grand panneau ovale était en réalité un miroir brisé. Les morceaux replacés semblèrent s’illuminer un bref instant, comme dans un flash lumineux, et quand elles regardèrent toutes de nouveau vers le miroir, il était reconstitué. Mais là où auraient dû apparaître leurs six silhouettes, on n’en distinguait qu’une, une seule, qui les regardait toutes. Une belle jeune femme se dressait dans le reflet, souriante. Elle prit alors la parole :

« Merci à vous toutes d’être venues aujourd’hui. J’avais besoin de vous pour retrouver qui je suis vraiment. Parfois, je me perds un peu entre mes différentes facettes qui constituent presque des vies à part entière ! Mais c’est vous toutes qui avez fait et faites encore celle que je suis aujourd’hui. »

Spontanément, la plus jeune des six femmes tendit la main vers le miroir, l’effleurant du bout des doigts. La sensation d’un léger courant électrique parcourut son corps, lui provoquant un sursaut. Le miroir s’éclaira de nouveau, la lumière bien plus forte cette fois, presque aveuglante. Une main délicate sembla sortir du miroir, attrapa celle de la jeune fille, et la tira vers elle comme pour la faire pénétrer dans l’espace qui se dressait derrière la surface réfléchissante. En un instant, les six femmes avaient disparu, laissant place à une unique personne : une très belle femme, de taille moyenne, enveloppée d’un grand manteau de fourrure, munie d’un sac à main bleu, et arborant une longue chevelure blonde. Elle se tourna vers le miroir, qui laissait maintenant apparaître l’image des six femmes là où elle s’était elle-même tenue quelques secondes auparavant.

« Mais qui êtes-vous au juste ? s’écrièrent-elles en chœur depuis l’intérieur du miroir.

- Je suis Émilie. »

Le miroir émit pour la dernière fois une faible lumière, puis l’image se troubla avant de redevenir nette, reflétant la figure souriante d’Émilie qui plaça son bonnet sur sa tête et s’en alla sans un autre mot.

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