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Isabelle

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ATELIER D'ECRITURE

Portraits d'Anciens élèves

du lycée Chaptal de Paris

 

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LUCILE

par

Emma Gandrey

Avatar Lucile - Emma Gandrey.jpg

6h56.

          Paris, un mois de mars. 12ème arrondissement. Rue de Reuilly.

 

7h00.

          Un appartement calme, encore endormi. La lumière du jour se levant éclaire progressivement la pièce blanche d’une douce tiédeur. On peut commencer à distinguer les objets qui l’agrémentent de couleurs pastelles : le photophore bleu-gris disposé sur la table ou même le coussin jaune mimosa qui trône sur un fauteuil. Le divan rose poudré semble s’assortir aux robes des danseuses du tableau, et on distinguerait presque le frou-frou du taffetas à mesure qu’elles virevoltent au bras de leurs cavaliers. C’est alors que la musique d’un possible orchestre caché dans le tableau se transforme en celle d’un réveille-matin et le bruissement des étoffes en celui de draps que l’on remue.

          On devine une silhouette dans le lit, sous la couette, en dépit du petit chat écaille de tortue allongé sur elle et qui semble guetter l’heure du réveil.

 

7H47.

          Le visage de Lucile apparaît dans le miroir de la salle de bain aux carreaux colorés. Des boucles châtain clair encadrent son visage, mais ce que l’on remarque immédiatement, ce sont ses yeux émeraude. Elle essaye de les mettre en valeur avec un crayon à paupière qui lui échappe des mains, tombe et glisse sur le carrelage froid. Alors qu’elle se relève après l’avoir ramassé, elle s’arrête dans son mouvement pour étudier une affiche encadrée à droite du lavabo, où sont inscrites des phrases en caractères bleus.

          « La beauté d’une femme n’est pas dans son maquillage, mais dans la vraie beauté de son âme. C’est tendresse qu’elle donne, l’amour, la passion qu’elle exprime. »

 

8h15.

          Jupe crayon. Talons. « Au revoir Cachou ! ». La clef dans la serrure de la porte. Clic. Clic.

 

12h06.

          Lucile détache enfin les yeux de son écran d’ordinateur. Rapide coup d’œil sur sa montre au poignet. Il est déjà 12h40 ! Elle s’empare d’une pochette en coton, dans son sac à main, pour en sortir méthodiquement une boîte rectangulaire en inox, un set de couverts en bambou et une pomme.

 

14h45.

          Entre Olympiades et Nationale. Lucile est dans les locaux de l’association La Cravate Solidaire, encerclée par une multitude de vêtements qui recouvrent les murs de la pièce du sol jusqu’au plafond. On dirait un dressing géant. Mais si elle est là, c’est pour aider et mettre à profit ce pour quoi elle se sent vraiment douée : l’intuition du vêtement. Certes, si « L’habit ne fait pas le moine, il y contribue. », comme mentionne l’adage recomposé de l’association.  Il peut donner une estime de soi, une confiance nouvelle. Comme si le vêtement pouvait transcender, empower, c’est ça.

               Une autre jeune femme est là, grande, brune, longiligne. Elle semble fatiguée mais écoute attentivement les conseils de Lucile qui lui explique comment l’association peut l’aider.

  • On va pouvoir choisir des vêtements qui te plaisent et après, on te donnera des conseils avant qu’une de nos DRH te fasse passer un entretien d’embauche.

Elle répond d’un sourire timide.

  • Do you want me to speak in English ? If it’s easier for you ? enchaîne Lucile.

  • Non, non… il faut que je… m’entraîne à parler français, répond la jeune femme avec une insistance et une détermination qui troublent Lucile.

 

18h32.

          La nuit commence à tomber, l’air se fait plus vif et mord les joues. L’arrêt de bus abrite Lucile du vent. Encore 7 minutes. À sa droite, un panneau publicitaire dont les néons blafards éclairent les plages paradisiaques de la Gold Coast australienne. « Laissez-vous tentez par l’Australie et ses eaux tropicales ». Lucile songe à son année de jeune fille au pair à Sydney. Elle se rappelle de l’hiver doux, de l’azur qui se confond avec l’océan mais surtout des responsabilités, du poids du parenting, et cette prise de conscience, peut-être que tout le monde n’est pas fait pour être parent. Elle pense avec tendresse aux deux petites dont elle s’occupait, elle espère qu’elles vont bien.

 

19h07.

          Lucile vient de rentrer. Cachou s’agite autour d’elle, l’empêchant de retirer ses chaussures, réclamant l’attention de sa maîtresse adorée. Elle parvient enfin, non sans quelques difficultés, à enlever ses kitten heel crème pour les placer sur son impressionnant rangement à chaussures où trône une quarantaine de paires de chaussures, non, peut-être une cinquantaine ?

 

19h21.

          Cachou est en position d’attaque, pupilles exorbitées, queue qui remue. Opérationnelle pour bondir sur le faisceau lumineux que le poignet de Lucile, paré d’un bracelet en or, dirige. Cachou agite la tête de droite à gauche, captivée par cette étrange lumière, ne sachant quand attaquer. Lucile rit aux éclats. « Ma petite mère, t’es complètement folle… une vraie gogolito ! »

 

20h33.

          Sur la table basse, un moelleux au chocolat encore fumant attend d’être dégusté dans la porcelaine de Limoges. Un livre est à côté, Chère Ijeawele ou un manifeste pour une éducation féministe de Chimamanda Ngozie Adichie.

 

21h52.

          C’est Constance au téléphone, la meilleure amie, rencontrée en prépa. Long chemin parcouru depuis.

  • Si tu as envie de passer dormir, un soir, on pourrait se faire une . Avec les rumeurs de reconfinement en ce moment… […]

  • Au fait, t’as des nouvelles de Marjorie ? Ça fait un bout de temps que j’en ai pas eu.[…]

  • Ohlala, Monsieur Gauthier, le prof d’Anglais, qu’est-ce qu’il était bien ! […]

  • Non mais, tu te rappelles la fois où on est tombées sur Anna, quand j’habitais vers Gambetta, alors qu’on était brouillées depuis des années ? La vie est drôle quand même.

 

2h03.    

          Il règne à présent une certaine pénombre dans l’appartement, et la lampe posée sur le secrétaire diffuse une pâle et timide lumière. Dans cette atmosphère feutrée, on parvient à distinguer les bruits de la nuit : quelques voitures, une sirène d’ambulance lointaine, le vent qui souffle, le crépitement des gouttes de pluie contre les vitres du balcon. Une masse sombre, roulée en boule et qui se soulève légèrement, se détache des draps clairs du lit. Lucile observe Cachou avec un sourire, elle qui, il y a encore trente minutes de cela, était énergique comme tout, sautant aux rideaux ou au lierre suspendu à l’armoire, comme si le chaton cherchait son attention pour lui dire, Il faut que tu ailles dormir maintenant ! Il est vrai que le sommeil a manqué à Lucile ces dernières années, prise dans le tourbillon de la prépa, des études et des petits boulots, de la vingtaine et ses fêtes qui donnent le tournis ; elle a du mal à ralentir, hyperactive toujours prête à rendre service, à tendre la main aux autres.

          Alors oui, il faut aussi qu’elle se repose, ferme enfin l’écran de son ordinateur, ou souhaite bonne nuit à Aurélien d’Aragon pour le laisser aller à sa rêverie sentimentale avec Bérénice, qu’elle mette de côté ses colères de la journée, peut-être ses peines aussi. Elle a bien le droit à ça, vous ne pensez pas ?

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