top of page
raymonde-de-laroche-les-modes-1905-photo_Boyer_théatre_S_Bernhardt_chapeau_Lenthéric.jpg

Isabelle

Mimouni

ACCUEIL
​
​
LECTURES
​
​
DISPOSITIFS
​
ATELIER D'ECRITURE
​
​
CONTACT

ATELIER D'ECRITURE

Portraits d'Anciens élèves

du lycée Chaptal de Paris

 

​

LUCILE

par

Alice Gascon

 Lucile par Alice.png

Il était une fois une princesse qui vivait au cinquième étage d’une drôle de tour rectangulaire, dont les hauts murs avaient été changés en larges fenêtres. La baie vitrée entrouverte, sa voix mélodieuse résonnait tous les jours dans la cour de son immeuble. Depuis quelques mois déjà, la princesse était faite prisonnière : elle ne pouvait sortir qu’à de rares occasions, et pas à plus de dix kilomètres, au risque de se faire attraper par des gardes au nez tout rouge.

 

Cette jeune femme se nommait Lucile, et il émanait d’elle une certaine grâce : lorsqu’elle dansait, ses cheveux sombres et généreusement bouclés remuaient comme des vagues agitées ; ses yeux aussi, par leur couleur, se confondaient avec la mer. Son visage s’illuminait toujours lorsqu’elle riait aux éclats, après avoir dit quelques plaisanteries.

Mais l’on devinait très vite sa noble naissance par ses mouvements de corps toujours contrôlés de façon élégante et naturelle, si bien qu’il fallait avoir un œil expérimenté pour les remarquer. Plus encore, Lucile était tendre et généreuse : un après-midi, elle avait cuisiné un fondant au chocolat pour trois jeunes orphelines perdues dans les rues de Paris, après les avoir installées confortablement sous une couverture laineuse.

 

Prisonnière de sa tour, Lucile en avait fait un refuge princier : dans son salon, tout n’était que blancheur nacrée et rose poudré ; un bal victorien se dessinait sur le mur, des petits bibelots de porcelaine étaient délicatement disposés sur une commode, en dessous d’un miroir doré ; et elle avait préparé un service à thé fleuri sur une petite table de bois, au pied d’un fauteuil en rotin. Dans une bibliothèque, se confondaient des couvertures  vives, souvent roses ou bleues et aux titres délirants comme Celle qui a dit FUCK, des ouvrages plus scrupuleux tel le Guide pratique du micro-entrepreneur; et un peu plus bas, sur la dernière étagère, se cachaient quelques trésors : de vieux livres reliés, aux coins parfois écornés et aux dorures fatiguées. Parmi ces joyaux, l’on trouvait les plus célèbres histoires, celles qu’elle avait étudiées lorsqu’elle était en prépa, il y avait fort longtemps…

 

Quelques plantes tombaient des placards débordants de vêtements et de souliers par milliers : les tennis blanches avaient pour voisines les espadrilles dorées, et les bottines noires, rouges, bleues, violettes, roses, et certainement toutes les couleurs que Lucile avait pu trouver en magasin et que je n’ai pas le temps ni le courage d’ici énumérer. Du tissu, du cuir, des talons, des plates, ouvertes, fermées : de l’escarpin noir à la botte de pluie, Lucile n’en avait jamais assez.

 

La jeune femme avait ainsi tout d’une princesse, il ne lui manquait plus que le prince charmant de ses rêves. Mais elle ne correspondait pas à ce que l’on pouvait attendre d’elle, et elle surprenait : elle n’hésitait pas à s’affirmer et n’avait pas besoin d’une quelconque personne pour faire son bonheur, pas même d’un homme. S’il lui arrivait de songer parfois, appuyée à la balustrade de son balcon, les yeux levés vers l’infinité du ciel, à la chaleur d’un homme ? Sûrement. Mais cela relevait davantage du confort que du besoin.

 

Malgré tout, Lucile était prisonnière de sa solitude, c’est pourquoi elle avait recueilli un petit animal poilu, qui répondait au nom de Cachou, le jour de son trentième anniversaire. La jeune princesse avait pris l’habitude de lui faire la conversation, chaque matin et chaque soir, et le midi aussi. Elle aimait lui réciter quelques poèmes à son réveil, la bercer à coup de mots affectueux comme "gogolito" ou “espèce de nouille”, lui donner quelques caresses à chaque heure du jour, mais par-dessus tout, elle aimait lui courir après.

 

Souvent, la petite boule de poils blanche et brune s’endormait au creux d’une couverture épaisse décorée de fleurs grises. Pas tout à fait réveillée encore, la créature s’étirait des moustaches jusqu’à la queue. Comme à son habitude, elle trottinait jusqu’à un sofa vieux rose. Une fois arrivé, le chat ne pouvait s’empêcher de planter ses griffes dans cette espèce de masse flottante, presque transparente, qui encadrait la grande fenêtre : le voilage !

On entendait alors un cri résonner dans tout l’immeuble :“Cachou !”. Une silhouette fine sortait hâtivement de la cuisine et fondait sur l’animal malicieux, les maniques parfois encore sur les mains. Cette courte scène burlesque se produisait tous les jours. Et après la lutte, les lèvres charnues de la princesse embrassaient Cachou en signe de réconciliation.

 

 Chaque jour, Lucile prenait soin de se vêtir de manière adaptée à l’occasion. Aujourd’hui, une paire de jeans et un pull aux rayures bleues feraient l’affaire ! Tout le soin résidait dans les petits détails, signes d’une certaine considération pour ses invités, ou bien voulait-elle se montrer sous son meilleur jour : d'innombrables perles pendaient à son cou, de grands disques descendaient ses oreilles, un épais bracelet doré entourait son poignet droit et ses mains étaient ornées de plusieurs bagues d’or.

 

Mais détrompez-vous : son joli sourire et sa coquetterie n’étaient pas tout ce que Lucile avait à offrir. Mieux valait prendre garde à ne pas lui révéler quelques préjugés à son égard, ou bien elle se mettrait on fire, car cette princesse n’était pas une petite libellule volubile et ne vous laisserait pas piétiner son honneur. Car si cela ne se remarquait pas sur son visage ou sur ses vêtements, la jeune femme était une véritable aventurière, et avait déjà bravé araignées venimeuses et scorpions à trois têtes sur une terre aride, au fin fond du monde. Malgré son titre de princesse, Lucile ne reculait pas devant la détresse des moins chanceux : elle se donnait corps et âme à une association, La Cravate Solidaire etn’hésitait jamais à quitter tour de garde, courtine et balcon.

 

            Par une matinée pluvieuse, alors que Lucile écoutait comme à son habitude la radio qui vous rend intelligent -France Culture- Cachou miaula plus fort que d’habitude et ne cessa de courir à travers tout l'appartement, du balcon jusqu’à la cuisine, quand bien même Lucile n’avait pas encore sorti une espèce de baguette magique produisant une couleur rouge. Toute apeurée, elle s’était réfugiée au-dessus du four où la fée princesse cuisait ses gâteaux. Lucile brandit sa baguette et s’approcha de la chatte dont elle comprenait le langage secret. Cachou miaulait une prophétie inespérée : Lucile allait être libérée de sa tour. Elle allait retrouver son royaume : elle se voyait déjà à la terrasse d’une taverne bondée, où le rosé et la bière couleraient à flots, ou bien errant dans le magasin rempli de curiosités pittoresque dont un certain Emmaüs gardait l’entrée. Elle allait reprendre le chemin de la vie, quitter l’étrange boîte à images qui lui servait de triste compagne ! Revoir ses amis, sa famille, le monde, une foule entière ! Lucile allait respirer, s’envoler… enfin !

bottom of page