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Nighthawks

Marie Vincenti

 

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Vers de fuite embrassée

 

 

Immobile. La peur la glace. Face à elle, son reflet. Sa main le touche. Ses yeux crient sa détresse. Ils parlent. Ils lui rappellent. Leur rencontre dans le diner. Leurs discussions rythmées par les percolateurs.

 

L'un s'exclame, lui embrasse le front. Elle sent le contact de ses lèvres, sèches sur sa peau. L'autre la regarde profondément. Il lui montre l'amour que l'exubérant ne criera jamais. Leurs regards se croisent, se rapprochent, comprennent. L'enfermement. Saisis d'une solitude partagée. Sa voix s'éteint.

 

Il l'aperçoit. Il sait qu'ils peuvent se confier à elle. Lui avouer qu'ils ne font qu'un. Leur amour pour elle est unique. Sa vue se brouille et les confond. Elle n'entend plus que son souffle percuté par les verres qu'on nettoie. Les percolateurs chantent doucement dans le creux de son cou. Elle frissonne. Sa main tend vers lui sa fuite. Elle ne veut plus courir seule, mais avec lui, et l'autre aussi. Mais il s'écarte. D'abord, s'assurer de la possibilité d'une vie plurielle. Son bras se plie brusquement. Ses doigts rencontrent la boîte enfoncée sauvagement dans le costume sombre. Ils ne feront qu'un s'il l'ouvre. Elle pourra partager sa vie. Mais, elle tuerait l'autre ? Normalement non, ils se confondront pour lui faire face. Pétrifiée face à l'union possible, elle se demande si la multiplication l'est aussi. Elle ne serait plus seule. Elle s'empare du carton.

 

L'alcool lui brûle la gorge et humidifie ses yeux. Il distingue leurs formes silencieuses. Le barman surprend son regard. Le verre heurte le comptoir. Sursaut. Il susurre qu'il voudrait voir couler ses larmes, elles qui reflètent l'amertume. Au sel se confond l'alcool et le feu s'empare de son âme.

 

Sous une fièvre contemplatrice, ses yeux se voilent. Cartonné. Elle le presse. Sa fragilité l'empresse d'arrêter. Elle le torture. Il lui résiste, fort de sa rigidité légère. Elle se retient. Ses larmes satinent ses yeux. Elles se confondent dans le drap de sang qui l'entoure. Elle les ravale d'un bruit vulgaire. Son visage doit rester aussi sec que ses lèvres. Sa langue d'un rose assoiffé les humidifie furtivement. Rose. Entre le froid et le sang. Le calme et la colère. Les larmes translucides et le drap carmin. Tissu qui l'entoure, l'entrave, l'étouffe. Une protection violente, infranchissable. Entre eux, son corps.

 

Il cherche leur regard. Ils le fuient, s'échappent. Un cri de rage le possède. Brise le calme. Sa main se fige. L'alcool ne le consume plus. La solitude. Le rejet. Ils le consument. Sa personne se morcelle. Là-bas, auprès d'elle, dont la robe rouge glisserait doucement jusqu'à n'être plus qu'un brasier. Ou ici, face à la blancheur froide d'un vieux tissu crasseux et usé. Un tissu rude qui coupe la criardise rouge. Le toucher du vernis fait scintiller le bois lisse.

 

Sous son regard, le verre pressé se brise. Un cri retentit. Pas de ceux qui vous effraient. Un cri qui vous appelle. La rue vide de plein s'effondre. Les individus rassemblés s'embrassent, se séparent et se retrouvent. Elle se reconstruit sur les ruines d'une unité factice pour que chaque pierre dépende de l'autre. Le paysage aliéné et dépeint se dessine. Son regard miroite l'autre. Étrangers et gémellaires. Ils se prennent. Ils se fuient. Confronté aux diptères sombres, le regard du barman se perd dans la couleur lisse du bar. L'étoffe peinte est déchirée de rage par le verre brisé. La vitre qui les unissait dans un autrefois n'est plus qu'un éclat qui la sépare des autres.

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