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Proper Parfait Goubaux :

une vie, des vies

Epilogue en 2019

Flavie Raphaël

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Le temps a passé, c’est le printemps, nous en savons un peu plus sur Prosper Goubaux. Dans la cour, quelques élèves réunis bavardent tranquillement. C’est le moment de les aborder. Nous leur posons quelques questions en badinant, un peu pour nous mettre en avant, nous les littéraires de service dans ce lycée toujours scientifique, un peu aussi pour provoquer.

 

« Bonjour, nous sommes en hypokhâgne et nous menons une enquête, pouvons-nous vous posez deux questions ? » Chaque personne interrogée joue le jeu et répond à nos deux questions : « Savez-vous qui est Delacroix ? » et « Savez-vous qui est Prosper Goubaux ? » Voici les réponses - non surprenantes - que nous avons récoltées sur ces deux personnages :

 

À propos de Delacroix, les diverses réponses qui fusent sont : « Oui un peintre », « Celui qui a fait la liberté guidant le peuple » ou encore « de nom oui ». Quant à Goubaux : « non mais je l’ai su puisque je l’ai vu sur sa plaque, il y a une place pas loin », « je ne sais pas du tout », « une salle à Chaptal », « c’est la salle dans laquelle on va devoir aller » et une dernière réponse qui nous rassure : « Oui, celui qui a fondé Chaptal, la cité scolaire je crois ».

 

Delacroix, Goubaux, ces noms se répondent et gardent leur énigme. Pourquoi ne pas aller chercher ailleurs, faire preuve d’audace ? Allons au Louvre ! Nous y voici, dans les coulisses du Louvre. Dès l’entrée, des badges d’accès portant l’inscription « musée du Louvre » suivie de notre nom et prénom nous sont donnés. Nous sommes ravies, nous avons l’impression de faire partie intégrante de ce temple de la culture qui nous impressionne depuis notre plus tendre enfance. La prestigieuse lourdeur du musée nous intimide lorsque nous marchons sur le plancher un peu bancal du long couloir de bureaux où s’entassent les livres d’art, où travaille une ribambelle de conservateurs. C’est l’envers du décor qui nous est révélé. Nous patientons dans ce dédale sombre, perdues au milieu d’une suite de portes ouvertes ou fermées au gré des enquêteurs qui s’y engouffrent. Après un temps que nous mettons à profit pour découvrir timidement les lieux, une femme blonde à lunettes nous interrompt en nous tendant la main : « bonjour je m’appelle Jessy, je suis l’assistante de Madame de Font-Réaulx qui est occupée pour le moment, elle nous rejoindra dans quelques minutes pour notre interview ». Nous la suivons intriguées, pressées de découvrir la vie du fondateur du lycée Chaptal, Prosper Goubaux. La déception se peint sur nos visages quand nous découvrons la salle de réunion sans âme dans laquelle nous nous installons pour débuter l’entrevue. « Vous êtes donc là pour le portrait de Richard de Lahautière peint par Delacroix ? ». Excitées par cette rencontre, aucune de nous trois n’ose commencer. Au bout d’un petit temps, l’une de nous se lance et pose la question que nous attendions toutes : « Oui effectivement, Richard de Lahautière était un des élèves de Prosper Goubaux et nous aurions aimé en apprendre plus sur cet homme au regard du portrait d’un de ses disciples. Etait-il rare de faire peindre ainsi ses élèves ? Au fond de nous, inavouable, le rêve : et si nous avions vécu du temps de Goubaux, nous aurait-il fait représenter par Delacroix ? ». Nous lui lançons toutes trois un sourire gêné, ne sachant pas si la réponse va nous satisfaire. « Je suis désolée mais je pense que Madame de Font-Réaulx en saura plus que moi, il va falloir attendre qu’elle finisse ». La déception est donc bien là, nous attendons sans vraiment y croire l’arrivée de la conservatrice pendant que son assistante nous débite la vie de Delacroix, qui est certes intéressante, mais qui n’est pas celle qui nous intéresse. Une seconde assistante vient couper la harangue de la première pour nous informer de la disponibilité de la conservatrice. Nous remballons nos feuilles, stylos, trousses ainsi que notre déception. Après cette discussion creuse, un nouvel espoir semble se dessiner lorsque nous laissons derrière nous la salle de réunion modernement épurée pour rejoindre un bureau orné de chefs-d’œuvre artistiques…. en cartes postales. C’est une femme bien plus imposante qui nous ouvre la porte et qui d’une poigne plus ferme nous serre la main à tour de rôle. Nous découvrons alors un bureau baigné par le soleil qui sublime la beauté des œuvres exposées. La conservatrice nous fait signe de nous assoir et commence l’entrevue. Entêtées mais aussi poussées par un désir de connaissances, nous lui reposons la même question. Un petit air désolé se dessine sur son visage lorsqu’elle nous répond : « nous n’avons aucune trace de correspondance entre Delacroix et Goubaux, je ne peux pas vous aider sur ce point ». Nous sommes déçues par cette nouvelle révélation. Nous avons toutes les trois le portrait en tête et à mesure que la conservatrice nous en parle à travers la main de Delacroix qui l’a peint, nous nous transportons au-delà du Louvre, au-delà de notre époque, dans le salon de l’institution d’un grand homme, en 1835 et nous imaginons ce portrait par le prisme de Prosper Goubaux. Dans ce salon, une fresque de dix visages glorieux ornait le mur, dix paires d’yeux orientaient le regard dans diverses directions victorieuses, dix cadres accroissaient le mérite de cette élite. Je tente alors une dernière question à propos de notre cher Goubaux : « savez-vous si Goubaux fut le seul à avoir cette idée de galerie de portraits pour ses élèves primés au Concours général ? », une nouvelle réponse nous laisse de marbre : « Non plus, je vous l’ai dit, nous n’avons rien retrouvé par rapport à tout cela ».

 

Nous comprenons que nous n’aurons pas les réponses que nous cherchions en venant ici et laissons donc notre imagination divaguer. Il est temps alors de s’attarder sur cette galerie de portraits pour connaître la destinée de cet auguste quidam, Prosper Goubaux, le centre de notre intérêt. Sur l’un de ces cadres, « le tableau le plus élégant parmi les portraits de ce mur » nous dit la conservatrice, l’on peut lire « Richard de Lahautière, second prix de version latine au Concours général doublé d’un accessit en thème latin ». Plongés dans le vide, ses deux yeux marrons adolescents sont ceux qui retiennent notre attention. De cette œillade émanant d’un visage angélique ressort la prestance d’un jeune homme de son temps. Ses cheveux indisciplinés et d’un roux rebelle trahissent la jeunesse du modèle peint par cet autre homme illustre dont le nom s’échappe à nouveau de la bouche de la conservatrice : Delacroix. Pourtant, habillé de façon élégante, « peut-être imaginé au moment de la pause » précise la spécialiste, à la manière d’un dandy, l’artiste, d’un trait parfait, laisse suggérer la modernité qui a éduqué cet éphèbe et qui le suivra toute sa vie. Le veston relâché car sûrement un peu trop grand dévoile les quinze ans juvéniles de l’élève tandis que le foulard d’un jaune un peu terne élance et soutient un port de tête gracieux et impérieux. Se détachant d’un ciel chargé de nuages, d’un air orageux, d’un temps coléreux et d’une atmosphère agitée, bref, un « paysage à l’anglaise » évoque la conservatrice, la position du sujet semble exprimer la lutte pour la modernité dans laquelle se sont engagés le peintre et l’éducateur qui l’a formé et fait devenir l’être raisonné qu’il fut en sortant de son cursus scolaire. Quelques touches de génie inspirées de peintres anglais comme Laurens, « dont Delacroix a visité l’atelier » nous dit l’experte, introduisent une lumière captivante sur le rouquin lauréat. Quelques touches de génie subliment les réformes de son audacieux pédagogue qui malgré tout disparait peu à peu de l’interview pour ne laisser place qu’au nom « Delacroix » dans les bouches des deux femmes.

 

De retour dans la salle de la spécialiste passionnée qui nous livre des détails croustillants sur la relation entre Delacroix et Chopin, nous tournons nos yeux vers la seule horloge de la pièce qui indique presque 17h. À ce moment précis, la conservatrice met subtilement fin à notre interview. À nouveau dans le couloir, aucune de nous n’arrive d’abord à exprimer ce qu’elle ressent après cet exposé sur Delacroix. Un peu confuses, nous exprimons toutes au même moment notre déception de n’avoir pas plus d’informations sur Goubaux et sommes contentes de partager la même impression. Nous prenons l’ascenseur en serrant contre les paumes de nos mains le badge d’accès auquel nous nous sommes attachées en peu de temps. L’une de nous passe la porte en tentant d’emporter avec elle ce fétiche inestimable mais se fait vite arrêter dans sa course, rattrapée par la phrase claquante de la dame de l’accueil : « les badges doivent être remis ». Dite d’un ton sévère, cette apostrophe provoque une nouvelle désillusion à laquelle nous devons faire face. Garder le badge est une tentative qui a échoué, celui-ci est rapidement mis à la poubelle une fois que nous sommes sorties. Notre tentative de préserver ce souvenir est à l’image de notre quête : elle a échoué. Un nom en efface un autre, Delacroix efface Goubaux, une image en efface une autre, le portrait de Richard Lahautière efface le portrait de Goubaux mis à l’honneur dans le bureau du proviseur du lycée Chaptal mais que personne ne voit.

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Prosper Parfait Goubaux : une vie des vies

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