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Père-Lachaise 2018

 

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   10h37. Sur le cadran, les chiffres sont affichés en gros, toujours les mêmes. Le petit S sur le côté gauche, indique le jour. Samedi. Comme à chaque fois. C’est la troisième fois que je relève ma manche pour regarder les aiguilles, pour vérifier que je serai bien à l’heure au rendez-vous. Mireille, tu détestes les gens en retard.

 Et moi aussi d’ailleurs.

    Je remonte l’allée si familière et comme toujours, je ne suis pas seul. Des petits groupes marchent à mes cotés, ils regardent leurs pieds de temps en temps, pour éviter de déraper. Entre les feuilles glissantes et les pavés, ils font bien d’être prudents. Prudent moi, je ne le suis plus depuis un certain temps, ou du moins plus ici. Je connais parfaitement chaque pavé de l’allée, il faut la prendre par le côté droit où les pierres sont moins lisses, moins polies par les pas et par le temps. J’ai tellement remonté cette allée avec toi, Mireille, nos dimanches après-midi passés à flâner dans les allées, à profiter du soleil ou à respirer l’air glacé des hivers parisiens.

    Le vent est froid et vif aujourd'hui, alors il fait vibrer le cellophane qui entoure la rose dans ma main droite. Toujours la même, rouge, serrée d’un ruban bleu. Je ne peux m’empêcher de la fixer fréquemment, pour m’assurer qu’elle est bien là. Une fois, une seule, je l’ai oubliée sur le meuble de l’entrée. Celui qu’on avait eu de ta mère, celui que tu aimais beaucoup. Quand on s’est installés à côté du cimetière, rue des Mûriers, tu as beaucoup insisté pour qu’on la garde cette commode en bois massif. Moi je n’en voulais pas, c’était trop encombrant, lourd à monter dans un petit escalier en colimaçon, je crois même avoir dit démodé. Puis tu y as posé tes clés, le pain, les journaux, les lettres de l’école de Philippe, les sacs de courses et les listes en tous genres. Aujourd’hui je la chéris cette commode, parce qu’elle est un peu plus de toi que tout le reste.

Je l’orne chaque semaine après le marché d’un beau bouquet de fleurs, attention particulière à laquelle tu ne manquais jamais.

    Je serre encore plus fort mes doigts autour de la tige, en faisant glisser mon pouce contre le ruban qui maintient le papier contre les pétales. Je ne me sens pas triste aujourd’hui, j’ai même le coeur léger de savoir que je te rends visite. Le Père-Lachaise n’a jamais été un lieu triste, il ne le sera jamais. Il est plein de rires, de souvenirs, les nôtres et ceux de tous les gens qui y sont passés.

   Rapidement, je reviens à moi et je reprends conscience de ce qui m’entoure. Le cimetière est calme, presque comme une image figée. Je viens de dépasser le crématorium, autour duquel des petits groupes en noir et blanc sont dispersés. Certains sont au téléphone, d’autres discutent. Un samedi matin au Père-Lachaise, comme il y en a des milliers. J’ai l’habitude de capter des détails amusants ou incongrus dans ce cimetière, on l’a souvent même considéré comme un jeu toi et moi Mireille. Aujourd’hui, ce sont ces jeunes assis ou debout autour du carrefour et qui griffonnent sur des carnets, le nez en l’air. Je ne comprends pas ce qu’ils cherchent à faire, mais leur air concentré et inspiré me fait sourire. Mon regard se déplace, presque inconsciemment, pour capter des détails supplémentaires. Les couleurs des carnets, leurs phalanges rougies par le froid, les mouvements rapides de leurs yeux.

   Je ralentis le pas et je croise un regard. 

 

Clara Defaux

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