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ATELIER D'ECRITURE

Portraits d'Anciens élèves

du lycée Chaptal de Paris

 

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PIERRE

par

Salomé Corvaisier

Pierre par Laurent Corvaisier.jpeg

Pierre a l’œil vif et le regard curieux. Une curiosité aiguë d’un jeune homme désireux de savoir ce qui est, soutenue par des gestes précis. Il a le pas sûr, très prononcé, malgré une carrure de faible mesure. Il est de ces hommes à qui demander l’heure devient vite chose délicate. A mesure qu’on lui adresse quelques paroles, son assurance vous étonne et détonne. Probablement parce que cette détermination laisse entrevoir une personne ambitieuse. Ou alors parce que vous avez l’habitude de rencontrer de jeunes hommes semblables en âge à qui de nombreuses choses paraissent encore échapper. Pierre, lui, semble se connaître et renvoie l’image de quelqu’un qui n’adopte pas le rôle de ce qu’il n’est pas. Ce souci d’honnêteté et de droiture le caractérise bien. Cette acceptation de soi pourrait découler de ses parents, ou plus exactement de l’amour que ces derniers lui ont porté. Des parents qu’il évoque en public pudiquement, mais avec précision. Car chacun de ses mots est minutieusement pesé avant d’être dit, d’être semé dans de vastes terres ouvertes aux hommes. Il vous dirait que tout dans la vie est alors question d’équilibre et de juste mesure, à l’instar de la prudence, une composante essentielle de sa personne. Pierre est l’honnête homme des temps modernes. Recevoir de sa part l’expression d’un sentiment personnel apparaît à vos yeux comme une grâce. Pourtant, Pierre garde la main sur ce qu’il laisse émaner de lui. Les plus curieux vous diront que cet homme contient bien des secrets, mais les fins observateurs sauront déceler des informations. Car Pierre est une personne éloquente à qui tout ne peut résister. Quand il en a trop dit, il se reprend aussitôt en secret car il refuse l’idée selon laquelle des choses personnelles puissent avoir franchi la frontière de l’intime.   

Pierre dégage une certaine confiance. Mais cet excès de confiance laisse planer un doute. Parfois, un geste furtif vient trahir sa confiance apparente et révèle une forme d’appréhension. Lui-même s’accorde d’ailleurs à dire qu’il a des penchants anxieux, une anxiété latente partagée par de nombreux êtres aux consciences aiguisées. Des êtres qui vous surprennent d’ailleurs par leur intelligence, leurs capacités d’analyse, leur grande lucidité, et qui, du fait d’un regard singulier, développent une multitude de craintes, souvent existentielles, les entraînant dans un état de déraison. Pierre doit en faire partie. Mais une précision est requise : à la différence de ces êtres, Pierre a un rapport franc avec le réel. Il voit les choses comme elles sont et ne se délecte pas comme peuvent le faire certains de les éviter. Pour avancer, il faut accepter de se confronter. 

D’après les récits qu’il fait de sa jeunesse, vous en déduisez qu’il a parfois été un nageur dans une mer agitée à qui seule la présence de certains éléments servait de boussole, ces mêmes éléments alors semblables à un rivage transparent auquel il pourrait toujours se rattacher. A vrai dire, l’équilibre intérieur se retrouve souvent dissipé par les tourments des jeunes années. Une espèce de buée s’y dépose délicatement et dans vos yeux de futur adulte, tout devient une épaisse brume. A mesure que le temps passe, le flux et le reflux de questionnements qui vous a trop longtemps fait tourbillonner dissipent cette buée pour laisser place à une certaine lucidité, comme si la rivière avait rejoint son lit   

Pierre a la parole facile. Parler semble être comme un jeu . A vrai dire, il n’est pas anodin de maîtriser le langage – ce qui plus tard deviendra l’art oratoire – lorsqu’on est le benjamin d’une fratrie de trois frères. Alors que vous ne bénéficiez pas de la même force physique qu’eux, la parole s’avère être une arme à part entière contre les remarques effrénées de vos aînés. Il est ainsi que savoir trouver des mots justes et des formulations pertinentes découle d’un entraînement quotidien d’auto-défense. Lorsque vous interrogez Pierre, il sait où vous mener et paraît systématiquement savoir placer avec habileté ce qu’il veut vous faire connaître. En un sens, les choses deviennent faciles car il sait vous guider et vous appréciez vous laisser porter. Mais cette tendance à vouloir tout contrôler attire votre attention. Pour Pierre, le contrôle est synonyme de dépassement de soi. Il aime aller de l’avant : c’est un homme pour qui l’ambition forme un véritable moteur à son existence. Paraît-il que le contrôle rassure et tranquillise l’Homme. Je crois surtout que la tranquillité que nous confère le contrôle est illusoire.  

 

Rien ne fait plus peur à Pierre que la passivité, la langueur et l’immobilité. Un type d’attitudes qu’il déteste, mais contre lesquelles il n’a aucunement besoin de lutter, étant lui-même par nature un être du mouvement. Selon Pierre, la vie est une vaste étendue de tous les possibles. Pour s’accomplir pleinement, l’homme doit accepter d’être une essence en perpétuel changement. Même au rythme le plus infime, tout évolue, se modifie, se transforme.

Pierre aime voyager. Découvrir l’ailleurs et l’autre sont des invitations au voyage. Le vert perçant des plaines écossaises, les mouvements ondoyants des étoles indiennes, les odeurs enivrantes du grand bazar de Téhéran le fascinent. Alors qu’il pourrait laisser penser que l’altérité lui est troublante, voire inconfortable, le dépaysement lui plaît ; il éveille en lui ce principe de défi et de dépassement de soi. Pierre se sent stimulé et vivant.

La ville de Marseille, pour sa diversité, ses richesses et son exotisme, l’attire. Il aime s’aventurer dans le quartier du Panier et voir apparaître au bout d’une ruelle un morceau de mer azur. De la Basilique, il redécouvre la Méditerranée, gigantesque mer insoupçonnée. Il contemple toujours plus attentivement la ville, alors réverbérée par les rayons d’un soleil aride à qui tout tente de résister vainement. Pierre ne peut s’empêcher d’arrêter son regard sur des obstacles qui le ramènent à la réalité. Les barres d’immeubles des quartiers nords, les quartiers déshérités. Lorsqu’il vous dit qu'il a presque un goût passionné pour cette ville, vous vous trouvez interloqué. Mais souvenez vous que rien n’est binaire. Il serait trompeur de donner raison à une apparence qui n’est que le fruit d’une image maîtrisée. Car Pierre est un être paradoxal, fait de contradictions. Il semblerait ainsi qu’il n’échappe pas à un principe de base : ce qu’il n’est pas l’attire. Pris de passion pour cette ville, lui-même ne se questionne pas sur cette attirance profonde. Il ne saurait dire pourquoi mais il l’aime. Plus qu’il n'en a conscience, le désordre patent qui y règne accroît son sentiment de vie et de liberté. Il vous dirait comme un élève discipliné que vivre à Marseille est le défi d’accepter que tout fonctionne différemment. Que rien ne semble être réellement sous contrôle. Peut-être est-ce parce que cette ville a beaucoup de caractère qu’elle occupe une pareille place dans son cœur. Le cœur d’un homme de caractère. Dans le fond, vous savez que Pierre a cette puissante capacité d’adaptation. Très vite, il transforme ce qui lui est étranger en une source d’enrichissement personnel. Alors, j’ai pensé à une phrase de Paul Valéry :

« Je songe à la variété, aux intensités, à la versatilité de notre substance sensible, à ses infinies ressources virtuelles, à ses innombrables relais, par les jeux desquels elle se divise contre elle-même, se trompe elle-même, multiplie ses formes de désir ou de refus, se fait intelligence, langage, symbolismes, qu’elle développe et combine pour en composer d’étranges mondes abstraits ».

Plus tard, j’ai regardé Pierre et me suis dit que je désirerai toujours dépasser les paroles des hommes pour me rapprocher de la vérité, de leurs vérités. Pour tenter de saisir en eux ce qu’ils prennent soin de dissimuler. Peut-être faut-il parfois se résoudre à ne pas comprendre l’autre. Mais le désir de percer les mystères des êtres est toujours plus fort et insatiable ; il est le sel de mon existence.

Souvent, des personnes apprécient chez Pierre son ouverture d’esprit. Un homme discipliné mais ouvert d’esprit, se disent-ils. Ils admirent son intelligence rationnelle, son audace et sont surpris qu’il n’en n’attende pas autant des autres. Il est rare de faire preuve de tolérance et de souplesse face aux comportements des hommes lorsqu’on applique à soi-même une grande exigence. Mais Pierre est un être sensible. Il dit peu l’être pourtant. Le pragmatisme qu’il dégage obscurcit cette sensibilité, une douce sensibilité qu’il a appris à dompter pour ne point en être submergé. Telle une bouteille jetée à la mer, il vous confiera qu’il est émotif. Retenir des larmes est parfois chose compliquée.

Les êtres perfectionnistes aspirent à devenir ce qu’ils ne sont pas ; pour cela ils scrutent d’un œil presque incisif ce qu’il serait bon d’améliorer. Ils tentent de se façonner selon un idéal. Ils aimeraient être l’artiste créateur et l'œuvre à la fois. Les détails, aussi minimes soient-ils attirent leur attention et la retiennent, de sorte que cette attention portée oscille entre l'obsession et l’insatisfaction. Mais un jour, la chimère de la perfection se brise. L’expérience vous apprend que l’imperfection est belle et valeureuse : elle sublime les êtres, leur apporte de la matière. Elle les rend profondément vivants.  

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