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ATELIER D'ECRITURE

Portraits d'Anciens élèves

du lycée Chaptal de Paris

 

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PIERRE

par

Isaure Croux

Pierre IM v2.png

Il entre dans la pièce, ne s’assoit pas tout de suite. Veste noire, pantalon noir, chemise blanche, cravate rouge : une tenue soignée, tout comme sa coupe de cheveux dont les contours sont nets et précis. Lorsqu’il s’assoit, il est droit, rigide, et pose ses deux téléphones sur la table. Il se présente : il est magistrat et a fait une année d’étude à Chaptal. Il répond de manière calme et contrôlée. Il préfère regarder son interlocuteur. Son métier absorbe une partie des questions, il a l’air de beaucoup aimer ce qu’il fait. Les premiers échanges sont très conventionnels, il n’en dit jamais trop. Toujours assis sur sa chaise, ses jambes bougent et adoptent des positions plutôt originales. Le reste du corps, lui, reste rigide, sauf une partie : ses mains. Il touche, pose, retouche et repose ses deux téléphones et fait même des pyramides avec. Les réponses aux questions sont toujours assez contrôlées. Mais petit à petit il se détend et répond de manière moins contrôlée et rigide. Il n’est pas qu’un magistrat.

 

Bon, je suis déjà un peu en retard mais c’est pas grave. Ah ! Voilà Madame M. ! Je suis content de la voir ! Il faut dire que je fais surtout ça pour lui faire plaisir, parce que franchement, j’ai des tas d’autres choses à régler et des journalistes à maîtriser.

On rentre dans Chaptal. L’entrée a énormément changé. Toujours le même décor mais ces grilles noires sont vraiment horribles, elles gâchent tout le charme de l’entrée. Par contre ce sont les mêmes escaliers, les mêmes couloirs et la même salle de classe. Oh là, il y a beaucoup d’élèves. Bon, c’est pas grave, dis-toi Pierre que ce sont comme des journalistes. Je m’assois. La chaise n’est pas très confortable, ça n’a pas changé ça non plus, mais au moins j’ai de la place pour étaler mes jambes et une table pour poser mes deux portables. C’est agaçant, ils n’arrêtent pas de vibrer ! Je vais les mettre sur mode avion, parce que je sais que voir les notifications sans pouvoir y répondre va m’agacer. C’est drôle, on dirait une armée de petits journalistes, d’ailleurs certains ont déjà le même regard inquisiteur.  

Les questions commencent, ils sont un peu timides. On me demande quel est mon livre préféré. C’est idiot comme question. Je lui dis ou pas ? Oui, comme ça ils verront que je suis franc.

On me parle de mon métier. Je leur parle de mon déménagement à Marseille. C’est vrai que dans trois mois je pars à Marseille. C’est bientôt trois mois. En plus, je deviens juge anti-corruption, c’est quand même un énorme changement honnêtement.

Ils n’ont pas peur de me poser des questions sur ma famille. Et si je leur mentais ? Ce serait drôle quand même. Non, allez, je vais leur répondre juste assez comme je sais si bien le faire. Mais est-ce que je leur dis pour mon compagnon ? On verra plus tard. Voilà, c’est bien comme ça.

Mes passe-temps ? Eh bien... voyager. Ça fait longtemps quand même ! Sortir au resto, cuisiner. Enfin, cuisiner au Thermomix. Je pourrais nous faire un petit bœuf bourguignon pour ce soir d’ailleurs.

Une jeune fille me demande mon signe astrologique. Qu’est-ce que c’est que cette question ? Je ne savais pas qu'on pouvait accorder de l’importance à ces choses-là. Je crois que je suis Gémeaux. 

Les questions ne s'enchaînent pas toujours, peut-être que je leur fais un peu peur… C’est drôle cette affiche de l’Ecole des Chartres au fond de la classe, elle était déjà là quand j’étais élève. Je me souviens que je la fixais pendant les exposés de littérature pour ne pas avoir à regarder la classe. Et cette horloge détraquée… C’est comme si elle était figée dans le temps : jamais à la bonne heure. Comme ma montre d’ailleurs. Elle a toujours un peu d’avance.

Et Madame M., derrière ses élèves, qui prend des notes, toujours le même chignon haut et dérangé, avec un air attentif et concentré. 

Une fille me demande ce que ça fait d’avoir trente ans. Bonne question. Je me souviens avoir été manger au resto et bu pas mal de verres pour les fêter. C’est vrai que les restos sont fermés. Ça me rend triste leur fermeture, ça c’est sûr. En tout cas, je lui réponds qu’avoir trente ans ça pique un peu parce que on n’est plus aussi jeune qu’à vingt ans mais que c’est aussi la partie de sa vie où on est accompli. J’ai d’ailleurs plein de projets pour plus tard. Est-ce que je leur dis ? Oui peut-être. Ça tombe bien, on me demande où je voudrais être dans dix ans. Allez c’est la fin, autant me livrer un peu. Je leur dis alors mon rêve d’avoir un enfant avec mon compagnon, mon rêve d’être papa. 

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