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ATELIER D'ECRITURE

Portraits d'Anciens élèves

du lycée Chaptal de Paris

 

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SYLVIA

par

Laura de Beaurepaire

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Il est sept heures du soir. Sylvia a finalement quitté ses élèves et s’accorde une promenade dans le quartier de Beaubourg. Elle flâne sans but précis jusqu’à ce qu’elle aperçoive la fontaine Stravinsky. Son regard se fige, elle paraît instantanément absorbée par les nanas colorées et généreuses de Niki de Saint Phalle. Ses yeux verts se nourrissent des couleurs et des formes. Ils finissent par croiser ceux d’un homme, un passant comme elle, qui la regarde avec insistance d’un regard franc et singulier.

 

Sylvia détourne aussitôt le regard. Elle perçoit celui de l’inconnu comme une intrusion. Gênée, ses yeux se posent sur les statues. Instantanément la voilà à nouveau absorbée dans sa contemplation.

Quelques instants plus tard, son regard se dirige vers l’endroit où se trouvait l’inconnu mais il a disparu. C’est alors qu’elle réalise avec stupeur qu’il marche dans sa direction.

 

Le voilà qui l’aborde

 

« Toi aussi t’aimes Niki de Saint Phalle ? » lui demande-t-il de but en blanc.

Sylvia fronce les sourcils, elle n’aime pas être dérangée lorsqu’elle admire de l’art, encore moins par un inconnu qui se permet de la tutoyer.

 

« Oui » répond-elle laconiquement.

 

Il sourit d’un air amusé.  

« Et si ce n’est pas indiscret, je peux te demander pourquoi ? »

 

Sylvia lève les yeux au ciel, décidément il est insistant.

« J’ai un copain » lui répond-elle sèchement.

L’inconnu rit, ce qui agace encore davantage Sylvia qui le trouve bien effronté.

 

« Ne t’inquiète pas, je ne veux pas lui faire concurrence, je trouve simplement intéressant d’échanger avec une passionnée d’art. »

 

« Mais qu’est-ce qui vous dit que je suis une passionnée d’art ? » lui rétorque-t-elle, curieuse de voir ce qu’il va trouver à lui répondre.

 

« C’est tes yeux qui t’ont trahi, la manière dont tu poses ton regard sur ces statues. » 

 

En guise de réponse elle lève les yeux au ciel, ne pouvant cacher une fois de plus son agacement. Ce tutoiement crée chez Sylvia un certain malaise, elle trouve cela bizarre. Elle décide alors de couper court à la « conversation » et de partir.

Sylvia est féministe, enfin elle ne se revendique pas comme telle car, pour elle, c’est normal. En même temps elle a lu et continue de lire mademoizelle.com.

 

Malgré sa nature douce et avenante elle en a assez du despotisme que font régner les hommes qui s’accordent le droit de parler aux femmes comme s’il était évident qu’elles avaient envie de leur parler, sans même se dire que, peut-être, elles souhaiteraient être tranquilles. Et encore, ce n’est pas le plus grave…

 

Ce n’est pas de sa faute si, en tant que femme, elle se sent vulnérable quand elle est seule, même en début de soirée dans un quartier passant. Sylvia n’aime pas la solitude, elle en a peur, même si elle ne le dit pas.  Elle qui, en vingt-sept années d’existence, n’a jamais vécu seule.

 

Elle s’éloigne alors sous le regard de l’inconnu qui pèse sur elle, elle le sent suivre chacun de ses pas.

 

Mais alors qu’elle s’apprête à dépasser la fontaine et à dire au-revoir aux nanas qu’elle aime tant, elle reprend son souffle, pensant la menace passée et sent une main qui lui attrape le bras. Elle se retourne alors brusquement et essaie de se détacher de cette emprise. Son cœur se met à cogner contre sa poitrine, sa gorge se serre, elle a peur. Lorsque ses yeux recroisent ceux de l’inconnu elle ne peut s’empêcher de réprimer un cri d’effroi.

 

Face à cette réaction, l’homme sourit. Sylvia se reprend, elle ne veut pas se sentir aussi vulnérable. Elle le menace alors d’appeler la police s’il ne la laisse pas tranquille.

L’inconnu essaie de la rassurer, il n’a pas de mauvaises intentions, il veut juste discuter.

 

Sylvia est une femme forte, elle ne veut pas se laisser marcher dessus par un homme. Lui montrer qu’elle a peur c’est admettre sa victoire dans ce combat quotidien qu’elle ne connait que trop bien et qu’elle redoute d’autant plus.

 

Elle prend alors sur elle et avise une jeune femme près de la fontaine qui dessine les statues. Par réflexe, presque par instinct, elle décide de s’approcher d’elle pour sentir cette présence féminine pour affronter cette épreuve, pour se sentir soutenue. Sylvia pense au voyage qu’elle a fait au Togo, son safari dans la savane. Là-bas, les gazelles se déplacent toujours ensemble, seules elles n’ont aucune chance face aux prédateurs. Mais elle, elle ne veut pas être une gazelle, elle voudrait être une lionne.

Sylvia s’approche rapidement, elle sent la présence de l’inconnu derrière elle, de plus en plus proche. A ce moment-là elle n’a qu’une envie c’est de se transformer en statue. Nerveusement elle sourit à la jeune femme qui, à son grand soulagement, lui sourit en retour. Ce sourire détend un peu Sylvia, elle se sent instantanément plus forte. Elle décide alors d’engager la conversation avec la jeune femme.

 

« Bonjour, lui dit-elle d’un air gêné. Vous êtes étudiante en art ?

 

La jeune femme acquiesce, elle est en deuxième année aux Beaux-Arts. Sylvia est impressionnée par ses dessins, ils ont une force incroyable.

Comme avec les statues, les yeux de Sylvia se nourrissent des couleurs et des formes, la voilà absorbée dans sa contemplation.

 

Mais bientôt la réalité la rattrape, elle se retourne et voit l’homme toujours souriant qui la fixe d’un air amusé, comme s’il prenait du plaisir à lui faire peur par sa seule présence.

 

Elle sent à nouveau son estomac se nouer, elle refuse de se laisser envahir par la peur et lui lance un regard assassin. Heureusement la jeune femme distrait son attention et lui demande :

 

« Vous aimez Nicki de Saint Phalle ? »

 

Sylvia ne peut s’empêcher de réprimer un sourire, elle adore parler d’art, c’est ce qui la fait vibrer.

 

« Oui beaucoup, Nicki de Saint Phalle est une de mes artistes préférées. Je l’aime car elle est à la fois forte et poétique. Je me reconnais dans son œuvre si engagée. »

 

Sylvia essaie tant bien que mal de dissimuler son inquiétude grandissante, elle sait que l’homme l’observe toujours. Elle sent son regard peser sur elle, sur chaque partie de son corps. Elle se sent déshabillée par ce regard. La jeune femme, qui a arrêté de dessiner, a senti l’inquiétude de Sylvia, son corps est calme mais ses yeux trahissent la peur.

 

Elle lui demande alors ce qu’il se passe.

Sylvia est soulagée que la jeune femme ait compris que quelque chose n’allait pas. Elle hésite à se retourner et voit furtivement l’inconnu, toujours au même endroit en train de regarder les statues tout en les observant du coin de l’œil.

 

Sylvia veut lui expliquer, mais elle n’a pas besoin de vraiment lui parler, ce regard en direction de l’homme suffit à la jeune femme pour comprendre la situation.

C’est ce signal silencieux entre femmes qui donne l’alerte, elles n’ont pas besoin d’expliquer, toutes les femmes sont déjà passées par là.

 

Comment vous… tu t’appelles ? lui demande alors la jeune femme

Sylvia. Et toi ?

 

Elle s’appelle Mélissa. Mélissa dit à Sylvia de ne pas s’inquiéter, qu’il va finir par partir, par se lasser. Mais le regard de l’homme lui fait penser le contraire.

 

Mélissa essaie de lui changer les idées, de faire passer le temps qui, pour Sylvia, parait interminable. Elle lui demande ce qu’elle fait dans la vie.

 

« Je suis prof d’histoire de l’art au collège et à la fac. » Mais Sylvia ne s’arrête pas là, elle adore parler de son travail, c’est ce qui lui permet le mieux de s’accomplir, de se sentir utile. Elle a toujours besoin d’activité. Rester toute une journée au lit en regardant la télé, très peu pour elle ! Sauf si c’est pour regarder La jeune fille en feu bien sûr.

 

Elle précise alors :

 

« J’aime ces formes d’enseignement complémentaires qui demandent une dynamique d’apprentissage très différente. Mais, pour être honnête, j’ai l’impression que ce sont mes élèves au collège qui m’apprennent ou, du moins, qui m’apportent le plus de choses. »

 

Elle poursuit son échange avec la jeune femme. Elles parlent d’art. Sylvia lui raconte sa première exposition au Palais de Tokyo où ses parents l’avaient emmenée, son frère et elle voir Michel Blazy. Mélissa est la première personne que rencontre Sylvia à le connaitre. Plutôt atypique comme première expo ! En tout cas elle a eu le mérite de lui apprendre que l’art pouvait prendre n’importe quelle forme.

 

Au fil de la conversation, Sylvia se détend de plus en plus et en oublie presque l’inconnu.

 

Mais il commence à faire nuit. Le ciel s’est obscurci sans que Sylvia s’en aperçoive. Les statues perdent peu à peu leurs couleurs. Elle se retourne, la place est tranquille. Beaubourg à côté bourdonne. L’église Saint-Merri, se dresse devant elle, toujours prête à accueillir les pauvres et les simples d’esprit. On entend les accords d’un orgue qui résonnent dans la nef. Des pigeons s’envolent. C’est le soir, des étoiles s’allument au-dessus de la fontaine. La vie est belle.

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