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ATELIER D'ECRITURE

Portraits d'Anciens élèves

du lycée Chaptal de Paris

 

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SYLVIA

par

Marion Bollinger

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Journal du 17 mai 2021

 

 

     Debout, bravant le froid matinal, j’observais l’écriteau mural qui me faisait face. Sur une mosaïque bleu indigo, dont la couleur, probablement délavée par le temps, variait d’un carreau à l’autre, étaient tracées en capitales blanches : MAIRIE DES LILAS. La plaque légèrement incurvée était bordée par un grossier relief, un cadre ridicule qui semblait pourtant élever un écriteau banal au rang d’œuvre d’art et qui provoquait chez moi une étrange fascination. 

 

     Un courant d’air frais effleura ma tempe et fut rapidement suivi par le crissement des freins sur les rails argentés. Tirée de mes observations par l’arrivée du train en gare, j’appuyais machinalement sur la poignée métallique et entrais dans un wagon baigné d’une lumière blanchâtre, agressive pour mes yeux encore gonflés par le sommeil. Je m’assis dans un siège au tissu usé, dont la couleur avait perdu de son pimpant et jetais un rapide coup d’œil aux quelques lève-tôt, montés à mes côtés à la première station de la ligne 11.

 

     Je joignis mes mains en les plaçant sur mes jambes croisées, tout en tentant de me concentrer sur le déroulement de la journée à venir. Toutefois, je fus rapidement distraite par les nouveaux voyageurs, familiers ou non, qui pénétraient ou sortaient progressivement de la rame. Mon regard errant se posa alors sur ma voisine la plus proche, une femme dont la simple présence égayait le wagon terni. Drapée d’un long manteau qui épousait ses formes généreuses dont la couleur vive rehaussait le vermeil de ses joues rondes, elle me semblait être l’une des Nanas de Niki de Saint Phalle. Le souvenir de l’accueil chaleureux qu’avaient réservé les 3èmes à ce monument de l’art contemporain me mit du baume au cœur et me fit sourire derrière mon masque. Relevant soudain vivement les yeux de son téléphone, la muse du métro 11 m’obligea à détourner rapidement mon regard que je posais par dépit sur mon portable, afin de prétendre une quelconque occupation.  

     Vagabondant entre les applications pour échapper à ce sentiment de honte qui envahit toute personne prise en flagrant délit de contemplation, je constatais avec stupeur sur mon calendrier le peu de temps qui nous séparait de la fin de l’année scolaire. 

« Vu les conditions actuelles, on n’est pas près de faire de voyage cette année… Ni au Maroc… Ni au Kenya… » déplorais-je déçue. Cela faisait maintenant une éternité que je n’étais pas partie à la découverte de nouveaux paysages, de nouvelles images stimulant ma créativité, et l’installation récente d’amis proches aux quatre coins du monde ne faisait qu'accroître mon envie d’enfin sortir des frontières françaises pour me rendre vers l’inconnu.

 

     Réalisant qu’on avait dépassé Goncourt, je quittais l’écran en repoussant paresseusement une notification de Mademoizelle.com et pris place parmi l’essaim de voyageurs prêts à s’éparpiller dans une même impulsion dès l’ouverture des portes. 

     Immédiatement emportée par la vague humaine, je fus comprimée, écrasée, compressée, aplatie et dû faire des coudes pour me dissocier de la masse informe des passagers. Accélérant la cadence, je parvins à m’engager dans le couloir gris et froid menant au quai de la ligne 5, dont les affiches mornes retrouveraient de leur gaieté dans quelques jours, à la réouverture tant attendue des musées. Entendant le signal distinctif marquant la fermeture des portes automatiques j’assistais, à travers le verre sali, à la désolation munchienne des voyageurs abattus par la seule idée d’une attente de quelques minutes supplémentaires. 

 

     Malgré l’unique arrêt qui me séparait de ma destination, je m’assis sur un strapontin, et empoignai de nouveau mon téléphone. Interrompue dans mon élan par un éternuement suspect, mon regard interrogateur se posa sur un couple filiforme. Une femme blonde au regard dur, dont les traits sévères étaient dissimulés par le masque et un homme plus vieux, austère à lunettes rondes dont les vêtements désuets et la canne brandie vers l’avant n’était pas sans rappeler la fourche du personnage d’American Gothic. L’annonce de ma gare par la voix féminine me projeta hors de mon siège mais je n’accélérai pas pour autant, observant avec attention la démarche lente de la paire archaïque qui s’éloignait progressivement de mon regard. Je continuais plus vivement à l’intersection, l’air glacé s’embouchant brusquement dans le couloir, griffant mon visage.

 

     Quittant les souterrains sinueux que j’aurais souhaité pittoresques mais dont le sinistre renforçait mon spleen du lundi matin, je rejoignis les corridors spacieux, baignés de lumière, au centre desquels pullulaient des voyageurs plus ou moins pressés par le temps. Ce chemin mécanique n’était égayé que par mes contemplations et mon imagination débordante. Parvenir à trouver le détail amusant de l’architecture, à extraire le personnage fascinant du lot de passagers grisâtres, à attraper le gros titre intriguant des journaux empilés grossièrement dans les boîtes de fer, tel était le divertissement de mon trajet qui semblait parfois interminable. 

 

     Regardez ce trio par exemple, transportant de longues pousses vertes en mauvais état, il bousculent les travailleurs en costume et rompent complètement l’atmosphère de hâte matinale. Pour avoir un yuka, comme celui qu’ils portent, chez moi, je peux constater son apparence déplorable. Ses tiges brunies dont la chlorophylle s’estompe peu à peu n’est pas sans rappeler les œuvres de Michel Blazy, consacrées à la pourriture.

 

     Au moins, ça rompt la banalité habituelle, avec ses visions de paysages quotidiens, défilant à toute vitesse derrière les fenêtres, comme un tourbillon grisâtre incessant dont il nous est impossible de saisir les détails.

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