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Isabelle

Mimouni

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ATELIER D'ECRITURE

2025

Ecrire avec...

Omar Youssef Souleimane

et 

Lissia Mamou Mani

couverture L'Arabe qui sourit avec bandeau Quai d'Orsay.png

 

 

 p. 154

De retour dans la chambre, j’imite le voisin en agitant la main droite et en levant la tête :

- Il faut que tu respectes nos règles.

            Délia se marre :

- Tu le fais trop bien.

 

 

Un bruit à l’étage arrête notre moment de complicité. On se regarde, intrigués. Des voix s’élèvent vaguement au dessus de nous sans qu’on puisse en comprendre le contenu. Puis on entend pour unique son: trois coups de bâton; le rideau s’ouvre.

 

 

SCÈNE 1: Les voisins du dessus

 

Nadine est assise sur le divan, l’air fatigué. Elle prend sa tête entre ses mains. Rami est devant elle lui faisant des grands gestes.

 

NADINE : Tu ne comprends donc jamais rien, tu es aveuglé par la haine des autres.

 

RAMI : Moi, aveuglé ? Avoir des valeurs et les soutenir dans l’endroit où j’habite tu considères ça comme de la haine ?

 

NADINE:  Mais de quoi je me mêle ! Tu ne feras jamais avancer les choses en fouinant comme tu le fais depuis des années dans des vies qui ne t’appartiennent pas.

 

RAMI : Mais la vie de l’immeuble m’appartient, je suis gérant. Quel exemple comptes-tu donner à tes enfants ?

 

NADINE : Rami, les enfants sont partis depuis plusieurs années maintenant… Tu te morfonds dans le passé. Tu t’ennuies.

 

RAMI : N’essaye pas de m’expliquer ce que je fais comme si tu le savais mieux que moi. Nos enfants sont peut-être partis mais d’autres continuent de vivre dans notre bâtiment. Il est de notre devoir de…

 

NADINE : (le coupe) Je t’en supplie, cesse de te la jouer sauveur de la nation. Nous vivons dans un pays assez troublé pour que toi, Rami, qui peines à te lever de ton gros fauteuil, changes quoi que ce soit. 

 

RAMI : Ne commence pas à m’insulter de la sorte. Je suis le seul qui continue à se battre, le seul qui apporte un peu de discipline et de valeurs ici. Qu’est-ce que tu apportes toi, dis-moi ?

 

NADINE : J’essaye de mener ma vie et la tienne et je trouve ça bien assez comme ça. De toute façon il n’y a pas de discussion à avoir. Comme d’habitude, on tourne autour du pot.

 

RAMI : Tu as raison, nous n’avons pas à converser. C’est à toi de m’écouter et c’est tout. (Il fait de plus en plus monter sa voix) Je suis l’homme de cette maison. Tu as pour devoir de m’obéir. Plus jamais je ne te laisserai me parler comme tu l’as fait tout à l’heure. Et certainement pas en présence d’inconnus en plus ! Ce foyer ne tourne pas rond…

 

NADINE : (Le coupe en se levant brutalement du divan. Elle le pointe du doigt en se rapprochant de lui.) Vieux con. Dois-je te rafraîchir la mémoire ? Te rappeler ton comportement ? Tu insultes un syrien mais prône les valeurs du régime qu’il a sans doute fui. Tu traites cette femme de pute mais refuses à ta fille le mariage sous prétexte que son fiancé ne te convienne pas. Maintenant elle est partie, elle a fui cette maison et erre dans la ville comme une exilée. Et tout ça c’est ta faute.

 

Rami la plaque contre le mur. Nadine le regarde, surprise.

 

RAMI : (la fureur dans les yeux) La ferme maintenant ! La ferme ! Je t’interdis de parler d’elle. Je t’interdis de parler tout court.

 

NADINE : (apeurée) Mais Rami qu’est-ce qui te prend ?

 

RAMI : (il frappe le mur près de son visage) J’ai dit la ferme ! Cela fait des années que tu gouvernes cet appartement et cette famille comme si tu avais les pleins pouvoirs. Des années que je reste silencieux et passif en t’observant. Il est temps de rétablir les places qui nous ont été attribuées.

 

NADINE : (d’un souffle) Rami arrête tu me fais peur…

 

RAMI : (rieur) Ah je te fais peur maintenant ? Eh bien qu’il en reste ainsi. Que tu me craignes désormais. Que je sois enfin le maître de ma propre maison comme dans tous les couples autour de nous. (Il la serre plus fort encore)

 

NADINE : (les larmes aux yeux) Tu me fais mal !

 

Rami la relâche soudain. Nadine s’écroule sur le sol, dénuée d’énergie. Son mari la toise, lui crache dessus.

 

RAMI : Rends-toi compte de ta faiblesse. Ne t’avise plus jamais de me parler de la sorte.

 

Il détourne ses pas, s’installe sur le canapé et allume la télé.

 

 

Le rideau se ferme lentement. Avec confusion, j’observe Délia qui me rend ce regard. Impossible pour nous de discerner ce qui s’est dit. Fallait-il intervenir ? S’immiscer à notre tour ?

- Je n’entends plus rien, je crois que c’est fini.

 

*

* *

Chez Barbar, un restaurant populaire de Hamra, j’observe l’énorme espace éclairé par une

lumière blanche, de la même couleur que les murs. Elle m’incommode.

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