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Isabelle

Mimouni

ATELIER D'ECRITURE

2025

Ecrire avec...

Omar Youssef Souleimane

et 

Nathan Gambou Mouëza

couverture L'Arabe qui sourit avec bandeau Quai d'Orsay.png

 

 

p.114 Soudain, une phrase m’arrache à mes fantasmes.

— Naji était rentré récemment dans son village.

 

 

Rentrer en Syrie ? Volontairement ? C’était possible ? Je me rappelle que quitter la Syrie avait été l’une des décisions les plus dures à prendre de ma vie. Je quittais ma mère, ma famille, et ma maison sans pour autant savoir ce qui m’attendait au Liban. Cependant, je n’ai jamais regretté mon choix. En me permettant de goûter à un semblant de liberté, le Liban m’a ensuite permis de partir pour la France et de réellement l’embrasser. Par contre, mes proches me manquent. En particulier ma mère. Je n’ai jamais réussi à faire son deuil. Elle est vivante, doit sûrement s’occuper de notre famille et de son foyer. Je pense qu’au fond d’elle-même, elle sait que je suis encore vivant. En tout cas, j’aimerais pouvoir lui dire.

 

Très chère maman,

 

سأكون قريباً في طريقي إلى سوريا لدفن ناجي. (Je serai bientôt en route pour la Syrie, afin d’enterrer Naji.). Malheureusement, je n’aurai pas l’occasion de venir te voir, et je m’en excuse. آمل أن تكوني بخير (J’espère que tu vas bien), et que tu as retrouvé le sourire. J’espère que mes sœurs t’ont donné des petits enfants qui te font sourire tous les jours, et j’espère que tu es parvenue à me garder une place dans ton cœur. 

En tout cas, sache que je suis heureux. Je suis temporairement de retour au Liban pour veiller à ce que Naji ait la sépulture qu’il mérite, mais je retournerai en France aussi vite que possible. Dans la dernière lettre que j’ai essayé de t’écrire, je t’ai fait part de mes inquiétudes quant à la langue française et son extrême rigidité, eh bien, sache que je la maîtrise aujourd’hui parfaitement et que j’ai obtenu la nationalité. Je tiens un petit atelier de parfumerie où je tente tant bien que mal de faire honneur aux senteurs de chez nous en les libérant dans l’air méditerranéen. Sache que ma vie est très belle, et que j’en suis très fier. Certes, c’est une vie sans mère, لكنها حياة أتمتع فيها بالحرية من أجلنا نحن الاثنين (mais c’est une vie où je suis libre pour nous deux).

Tu me manques énormément. Je repense souvent à nos cours de lecture, et je dois dire qu’en dépit des nombreuses larmes qu’ils m’ont fait verser, ils me manquent beaucoup. Je me rappelle que tu essayais d’être terrifiante en faisant les gros yeux, mais que tu ne tenais pas bien longtemps. Tu m’aimais trop pour réellement t’énerver. Tu avais aussi une manière bien spécifique de conter les fables de كَلِيلَة ودِمْنَة (Kali la wa dimna). Tu affichais toujours une mine bien particulière lors des passages parlant de la mère du roi, tu l’appelais واطية (Nāzle), celle sans dignité. Tu méprisais son esprit calculateur et envieux tout en vantant les mérites de l’art du partage.  Les Français aussi lisent des fables à leurs enfants, je pense que tu les apprécierais aussi, certaines parlent de lions et d’autres de souris.

Je pense souvent que tu aurais aimé vivre en France. L’air y est pur, les gens y sont heureux, et ils cuisinent sacrément bien. D’ailleurs, je n’ai jamais osé te le dire, mais je n’ai jamais aimé ta mloukhiya. Tu y mettais tout ton cœur (et toute notre viande), mais la sauce de plat n’était vraiment pas bonne et son aspect me faisait peur. C’était noir, visqueux et aussi très long à préparer. Tes briques étaient mille fois meilleures par contre, surtout celles à la viande hachée et au fromage. Tu sais, j’ai essayé de les reproduire et je n’y arrive toujours pas, c’en devient rageant. J’aurais dû te demander ta recette avant de partir.

Je ne sais pas si tu penses que je suis mort ou si tu penses que j’ai fui comme un lâche, mais en tout cas, j’espère que tu m’as pardonné. On ne pourra pas se redire "أحبكِ" (Je t’aime.), mais ce n’est pas grave. Je t’ai aimé hier, je t’aime encore plus aujourd’hui, et je t’aimerai toute ma vie. Toi maman, بترجاك تحبني متل قبل أو أكتر (Je te supplie de m’aimer comme avant ou plus encore).

Je travaille actuellement sur un parfum qui portera ton nom, les fleurs de France n’ont pas le même parfum que celles de chez nous, mais heureusement je serai bientôt de retour à la maison. Grâce à ce parfum, رح تضلّ دايمًا حدّي (tu seras toujours près de moi)

 

 

 

ابنك المفضل

(Ton fils préféré)

— Ce n’est pas possible.

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