Polytropiques

Discours d’un conseiller municipal de Paris relatif à la situation économique du Bon-Marché

 

Mesdames, messieurs,

 

Ces dernières semaines, le chiffre d’affaires du Bon-Marché a chuté, et ce de manière inédite. C’est en particulier depuis l’épidémie de Covid-19 que le Bon Marché a connu d’importantes difficultés économiques : baisse de la fréquentation, baisse des rentrées économiques, et absence de rebond à cause des ventes en ligne. Il incombe à l’État d’aider les entreprises françaises en difficulté, en particulier dans un contexte post-crise sanitaire comme celui-ci. Contrairement aux prévisions, le Bon Marché est encore loin de ses chiffres d’avant la crise sanitaire, et rien ne laisse à penser qu’il pourra, seul, y parvenir.

Par son engagement pour l’environnement (rappelons que 100% de l’énergie utilisée au Bon-Marché est verte !), pour l’égalité homme-femme parmi ses salariés, et pour le made in France, il constitue aujourd’hui un exemple pour les grands magasins français, et mérite ainsi d’être aidé en priorité, à titre exemplaire. En aidant le Bon Marché, on promeut des valeurs d’inclusion, d’égalité et de respect de la nature.

Vous l’avez compris, c’est la défense d’un modèle qui mérite d’être poursuivie par le gouvernement. Mais le Bon Marché, ce n’est pas qu’un modèle économique ; c’est aussi, et avant tout, un magasin accueillant, plaisant, et souvent méconnu. Faisons un petit tour.

 

Commençons par le hall, qui se trouve juste derrière nous. Vous devez sans doute reconnaître le fameux escalier, qui a une valeur tant esthétique qu’historique. Et vous voyez, selon moi, ce hall rassemble précisément tous les aspects du magasin qui, à mes yeux, légitiment l’aide financière que je souhaite apporter au Bon Marché. Premièrement, l’immense majorité des produits – et l’intégralité dans certains rayons – sont issus d’entreprises françaises, faisant ainsi travailler des dizaines de milliers d’individus, et garantissant des biens de qualité. Prenez par exemple ce parfum Mûre et Musc de l’Artisan parfumeur, sur ce présentoir. Si la palette de parfums que vous pouvez voir sur ces présentoirs semble réduite, c’est précisément parce qu’ils présélectionnent les meilleurs produits. Et, grâce à cette présélection, chacun est mis en avant pour ses particularités. Un autre aspect qui explique l’intérêt particulier que le Bon Marché doit avoir pour vous et moi, est l’ambiance unique qui s’en dégage. Les ambiances uniques, devrais-je plutôt dire. Car vraiment, je pense qu’on le verra au fur et à mesure de notre courte déambulation, chaque rayon, chaque espace recèle son atmosphère propre. Regardez et surtout écoutez ce hall un instant : n’avez-vous pas l’impression de pénétrer dans un espace féérique, particulièrement en cette période de noël ? Voyez-vous, c’est cela que risquent de perdre les clients du Bon Marché en se rendant faire leurs courses ailleurs, et même en achetant en ligne. Et, pour ne faire que le mentionner, chacun de vous le sait, le Bon Marché est un lieu historique, un témoin du temps qui s’est écoulé et continue d’avancer ; il nous rappelle l’innovation que furent les grands magasins, et combien il est, aujourd’hui plus que jamais, décisif de les soutenir. Enfin, vous l’avez compris dès maintenant, ce qui est à préserver au Bon Marché, c’est un lieu, une éthique, une vision plus humaine du commerce, enfin bref, un modèle à perpétuer.

 

Passons, si vous le voulez bien, à ce qui ressemble à « une serre à chaussures », au premier étage (on suit la déambulation du groupe dans le magasin).

 

Pourquoi l’appelais-je serre à chaussures ? Il me semble que vous le percevez autant que moi, non seulement cet espace ressemble tout à fait à un îlot de fraîcheur, notamment par son parquet brun clair vernis, le tapis bleu mat, mais cette disposition de chaussures de toutes les sortes donne aussi comme une spécificité à chacune d’entre elles. Semblables à ces plantes exotiques uniques et venant du bout du monde, ces bottes, baskets, escarpin à talons, sont disposés de telle sorte que chaque produit soit présenté sous un jour particulier. Mais la différence réside dans ce que ces chaussures ne viennent pas du bout du monde, mais des quatre coins du pays. À nouveau, c’est le savoir-faire français qui est mis en avant au Bon Marché.

Un autre détail qui exemplifie cette éthique dont je vous parlais au rez-de-chaussée est le comportement des vendeurs et conseillers (Regards dubitatifs de certains députés du groupe). Ils ne vous assaillent pas, ne cherchent pas à vous dépouiller, mais sont discrets, à la disposition du client, et ce détail va jusqu’à leur habit, noir des talons à la veste, symbole d’une sobriété élégante ; seul un blouson doré permet de les distinguer des clients. Enfin, vous devez commencer à voir où je veux en venir ; suivez-moi, que je vous dévoile un espace qui va vous ravir.

 

Ce que vous allez voir est en effet mon espace préféré du Bon-Marché : l’espace Maison-Loisirs. N’entendez-vous pas déjà ce doux air de jazz qui se clarifie à mesure que nous nous rapprochons ? L’on dirait, en y pénétrant, trahir une famille dans son espace d’intimité ; et pourtant, c’est bel et bien un rayon d’un grand magasin. Il me semble que c’est en effet la première sensation qui nous envahit : celle de se sentir chez soi. Et, qui plus est, cette sensation perdure, à mesure que l’on s’installe sur les chaises Prouvé, les fauteuils Vitra, mobilier unique en son genre. Il n’y a plus de vitrine qui nous sépare du mobilier, ni de housse, protection ou quoi que ce soit : c’est comme si l’on possédait déjà tout.

Un autre atout fort du Bon Marché que j’étais sur le point d’oublier : la diversité du personnel (Hochements de tête de nombreux membres du groupe). Comme vous l’avez peut-être vu, dans chaque espace, ce sont toujours des femmes et des hommes qui conseillent les clients, sans avoir cette différenciation genrée typique de chaque rayon, avec des vendeuses uniquement dans les rayons parfumerie ou chaussures, ou seulement des vendeurs pour les habits de costume. Les vendeurs et conseillers sont sélectionnés pour leur compétence, non leur apparence. Et c’est, en partie, en cela que le Bon Marché promeut aussi des valeurs importantes à mes yeux, comme l’égalité entre les femmes et les hommes (cette fois-ci, des mines sceptiques).

Attendez, qu’est-ce donc que cela ? Je ne connais pas du tout cette espèce de machine, cet engin. Qu’est-ce, dites-vous ? (Un membre du personnel explique au groupe comment fonctionne « cet engin »). Ah, cela sert à faire des parfums au goût de chacun, très bien. Vous voyez, le Bon-Marché est ponctué de petits « extras », que vous ne trouverez pas ou peu ailleurs. Je ne connaissais pas du tout cette machine ni ce procédé, preuve qu’on est surpris même par les produits qui nous sont proposés. Et pourtant, ce sont ces extras qui égayent les moments que l’on passe au Bon Marché. On y vient avec souvent une idée en tête, et finalement les surprises sont telles qu’on repart bien souvent avec tout sauf ce qu’on avait en tête, sans être déçu, bien au contraire. Passons dès lors à l’étage supérieur.

 

Vous remarquerez que cet escalator est d’autant plus silencieux que nous pouvons encore percevoir la musique jazz (Certains semblent en effet se laisser distraire par cet air).

 

Les rayons sont remplis, comme vous pouvez le constater, de jeux pour tous les goûts : poupées, kits de construction, de cuisine, peluches, legos et j’en passe. Mais surtout, n’oubliez pas que ceux-ci sont tous fabriqués en France, et en acheter ici favorise donc nos entreprises, comme ce kit JeuJura, par exemple. Allez dans un magasin de jouets, peu importe lequel, et je mets au pari de retrouver autant de produits français, et de qualité en plus ! Ne sentez-vous pas comme un air de douceur, d’authenticité ? Ne vous imaginez-vous pas facilement des enfants assis à cette table, devant ce beau miroir ? (La remarque ne semble pas faire mouche). Eh, que vois-je, en voilà deux qui viennent d’arriver, et qui se dirigent tout droit vers ces costumes de chevalier ! Et moi-même je retournerais presque en enfance ! Franchement, n’est-ce pas là l’endroit rêvé pour redevenir tout petit, le temps d’un petit tour ? Avec cette douce mélodie, je vous garantis que vos enfants auront autant de plaisir à chercher des nouveaux jouets ici qu’à jouer avec dans leur chambre.

 

Vous l’avez compris, il me paraît plus qu’utile, nécessaire même d’aider le Bon Marché dans cette période de difficultés économiques, en raison de son modèle, son histoire, ses engagements pour l’écologie, l’égalité entre les hommes et les femmes ; mais aussi, pour l’expérience particulière que chacun retire d’un passage au Bon Marché. Tous ces éléments expliquent son statut si particulier parmi les entreprises françaises.  Et, pour toutes ces raisons, je vous demande de soutenir ma proposition de soutien financier, ambitieuse, visant à préserver cette institution, ce grand magasin (quelques applaudissements).