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Eurolâtre


Jean-Luc Mélenchon aime à parler de « la caste des eurolâtres » (par exemple dans un billet publié sur Facebook en juin 2016 où il se félicite du Brexit). Il n’est sans doute pas l’auteur de ce néologisme que l’on trouve dès 2011 sous la plume de Thierry Desjardins dont les textes figurent dans les colonnes du Figaro. C’est évidemment la formation du mot qui interpelle. On reconnaît immédiatement le décalque d’idolâtre. Idolâtre est composé de deux mots : eidôlon (« image » en grec) qui a donné le mot idole et un dérivé du verbe latreuein qui signifiait « adorer, servir ». Le composé °idololatre s’est simplifié par haplologie et a donné idolâtre. D’un point de vue sémantique, le terme comporte une dimension épidictique : il est blâmable d’adorer les idoles, les veaux d’or, plutôt que le vrai dieu, et le mot apparu chez Saint Paul est généralement invoqué dans un contexte de condamnation religieuse.

On peut de plus supposer que la perception d’une proximité avec le suffixe français « âtre », péjoratif — voir jaunâtre, blanchâtre, bellâtre, douceâtre…— renforce la connotation.

Il faut être un peu myope pour pratiquer l’analyse lexicale. Or le myope a tôt fait de voir que la composition du mot comporte une bizarrerie : on devrait dire « europolâtre » si l’on était conséquent. Or, la chute du « p » tend à réduire abusivement, très abusivement, l’Europe à l’Euro. De fait, quand on cherche un peu, on repère des occurrences du mot plus anciennes qui s’avèrent éclairantes ; on lit ainsi en janvier 2003 dans La Dépêche : « Un an après l'introduction de l'euro fiduciaire (billets et pièces) la plupart des européens apprécient sa forme et déclarent le manipuler sans grande difficulté. Les valeurs retenues pour les billets semblent bien répondre aux besoins des utilisateurs. Quant aux pièces elles remportent un vif succès avec leur faces nationales qui excitent l'âme du collectionneur qui sommeille en chacun de nous. Mais l'eurolâtrie s'arrête là. »

L’eurolâtre se définit bien ici comme celui qui adore l’euro (la monnaie ), on comprend le lien avec le veau d’or, et la formation se justifie. Mais par un processus d’approximation et de confusion volontairement entretenue, on condamne aujourd’hui ceux qui aiment l’Europe, tout autant que ceux qui adorent l’euro, et l’on ne semble pas pouvoir imaginer qu’on puisse se faire une idée de l’Europe autre que financière.

J’ajouterais enfin que la langue de Jean-Luc Mélenchon emprunte volontiers le vocabulaire religieux qui ne craint jamais d’exclure au nom de ses valeurs. N’oublions pas l’origine du mot

« caste » (« caste des eurolâtres ») : il évoque à la fois la « race » et la chasteté (par substantivation de l’adjectif casta). Je ne peux que trouver inquiétant qu’un homme politique désigne ceux qui ne partagent pas son avis en usant d’un lexique prônant implicitement à la fois la pureté et l’anathème.


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