Archaïque discrétion

Le commerce des honnêtes gens ne peut subsister sans une certaine sorte de confiance ;

elle doit être commune entre eux ; il faut que chacun ait un air de sûreté et de discrétion (…).

La Rochefoucauld, Appendice aux Maximes, De la Société.

Lorsque le 15 août 2016, Jean-Pierre Chevènement a recommandé aux musulmans la discrétion, il a employé un archaïsme. Il a en effet évoqué une qualité prônée par les moralistes du grand siècle pour lesquels le galant homme, superlatif de l’honnête homme — selon le spécialiste de l’ère galante qu’est Alain Viala —, sait s’effacer afin de ne pas gêner, s’effacer comme on s’efface dans l’embrasure d’une porte pour laisser passer une femme devant soi. Le discret, à l’inverse de l’importun, ne s’impose pas devant ses amis ; plutôt que de briller en société, il préfère laisser briller autrui. Faire preuve de discrétion, c’est ainsi prouver sa valeur généreusement altruiste. Le philosophe Pierre Zaoui n’explique pas autre chose lorsqu’il loue la discrétion comme une expérience existentielle épanouissante, un cesser d’apparaître permettant d’abdiquer toute volonté de puissance et de favoriser l’avènement de l’autre. (La Discrétion. Ou l’art de disparaître, Paris, Autrement, 2013)

Mais ce n’est pas ainsi que l’entendent les modernes, tel Edwy Plenel, pour lequel prôner la discrétion, c’est prôner l’invisibilité, (twit du 15 août à 12h45). Et c’est un scandale. De fait, notre société a érigé comme valeur suprême la « visibilité ». Elle juge un homme à sa « surface sociale » et à la taille de sa vitrine sur Internet. Il ne s’agit plus de s’effacer mais de s’exhiber, d’affirmer ses convictions, son identité, son existence. Dans ces conditions, la discrétion est conçue comme une négation de soi.

On est en plein malentendu. Dialogue de sourd entre celui-là, qui se réfère à un code de valeur désuet, et celui-ci qui parle et pratique le français moderne, sonore, médiatique et parfois même un peu bruyant.