Dégagez !

« Dégagez », généralement employé à l’impératif : c’est le genre de mot qu’on peut dire dans certaines circonstances, sous l’effet de la colère, de l’exaspération. On peut le dire. Ce qui est plus étonnant, c’est de l’écrire, l’écrire sur un tract qui fait programme. Ce n’est pas la vulgarité du terme qui gêne. On en a vu d’autres. Les populistes emploient souvent des termes familiers pour faire peuple et on n’est évidemment pas dupe de la manœuvre.

Le « dégagez » des tracts de J.L. Mélenchon a quelque chose de plus inquiétant. Ce qu’on dit sous le coup d’une émotion, on ne l’écrit pas, on ne le publie pas, on ne l’imprime pas noir sur blanc.

Pourquoi ?

Parce qu’à l’écrit, on n’est plus sous l’emprise de la colère ou de la rage, on pèse ses mots, on prend le temps de la réflexion. On se reprend, on se corrige, on fait effort sur soi-même.

Ce « dégagez » n’est certainement pas à imputer directement au leader de la France insoumise, il fait entendre la voix du peuple, la voix du peuple en colère : une colère qu’on intègre au programme. On peut évidemment dénoncer son instrumentalisation.

Mais plus encore, c’est la source de l’action politique qu’il faut interroger : pourquoi se mobilise-t-on ? Qu’est-ce qui nous met en branle ? La colère peut-être parfois — et ce n’est ni répréhensible ni honteux —, car nous sommes des êtres sensibles, mais cette colère que nous devons la maîtriser, la transformer en une énergie positive, qui n’a pas vocation à « dégager » les autres, parce que cela ne fait raisonnablement pas un projet politique.