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Conversation entre Stendhal et Sorrentino

Dans la série en dix épisodes The Young Pope (2016), le réalisateur italien Paolo Sorrentino se permet une étonnante fiction mettant en scène un jeune pape si réactionnaire que c’en est révolutionnaire. L’un des épisodes présente la rencontre de ce pape interprété par Jude Law avec un écrivain américain aisément identifiable comme Philip Roth. Et les voilà de discuter amour, c’est-à-dire chair et sexe pour l’un, agapè pour l’autre.

A nous d’imaginer un dialogue à la manière de ces exercices scolaires d’un autre temps. « César se trouve face à face avec Alexandre, imaginez leurs propos… » Stendhal s’entretient avec Paolo Sorrentino, de quoi parlent-ils ?



Stendhal :

Ma foi, mon cher Paolo, j’ai pris plaisir à voir que vous aviez lu mon œuvre. Cette étude de l’art de bénir devant son miroir, un bel hommage à mon évêque d’Agde dans Le Rouge et Le Noir.

Sorrentino :

Assurément, Maestro ! mais vous noterez que j’ai doublé la scène pour en souligner l’ironie : c’est d’abord mon jeune pape qui apprend à bénir, puis le personnage du cardinal Spencer, son « père spirituel » que mine le désir d’être pape.

Stendhal :

Bien vu, mon cher. Je vous choisirais volontiers moi-même comme fils spirituel. Déjà, dans La Grande Bellazza, j’avais pu apprécier votre interprétation de ce qu’on appelle à mon corps défendant le syndrome de Stendhal : oui, la beauté nous ravit et, si dieu existe, c’en est la seule preuve irréfutable. La beauté sous toutes ses formes, vous avez raison : celle des femmes, des hommes, de la nature, et de l’art. Vos plans se succèdent comme autant d’œuvres d’art. Vous continuez la galerie initiée par votre générique. Très belle image que celle des camions de nuit sous la pluie et le pape à genoux priant sur le parking. Inédit pour moi, mais très beau.

Sorrentino :

Je crains que l’hommage que j’ai rendu à votre œuvre n’ait pas été remarqué par la critique. J’ai pourtant accentué au mieux la pompe de l’église catholique, apostolique et romaine, j’aurais voulu qu’on entende votre voix derrière les images : « Je viens de jouir d’un des spectacles les plus beaux et les plus touchants que j’aie rencontrés en ma vie. Le pape sort de Saint-Pierre porté par ses estafiers sur un immense brancard (…) je vois paraître une figure pâle, inanimée, superbe, enveloppée elle-même de draperies jusqu’au-dessus des épaules, et qui ne me semblait former qu’un tout avec l’autel, l’estrade et le soleil d’or devant lequel elle était comme en adoration. (…) A ce moment il n’y avait que des croyants autour de moi, et moi-même j’étais d’une religion si belle ! »

Stendhal :

Merci, cher Paolo, mais je déplore que vous coupiez mon texte. J’ai clairement souligné dans Rome, Naples, Florence à la date du 18 août 1817 que la figure que je voyais était pâle et inanimée, telle celle d’un mort. Vous avez voulu rajeunir l’Eglise, Paolo, lui donner une figure juvénile et terriblement attirante. Votre idée d’incarner le pape en l’impeccable Jude Law est savoureuse… mais l’église était déjà morte en 1817. La pompe, l’artifice, le cinéma même, n’y feront rien. Vous aurez beau tenter de réveiller le miracle…

Sorrentino :

Et pourtant, maître, vous le disiez vous-même, le mystère de la beauté… Laissez-moi y croire, je vous en prie, laissez-nous garder une porte ouverte vers le ciel.

Stendhal :

Je n’y crois pas, ma foi, Paolo, à votre mystère, à votre annonciation, à vos stigmates. Je crois plutôt à l’autre mystère, celui que vous évoquez en diptyque, celui qu’on ménage à des fins mercantiles, celui qui sert les opérations marketing d’une église en péril qui chercherait n’importe quel subterfuge pour attirer à elle des fidèles indifférents, une église prête, comme vous le suggérez, à se fanatiser pour faire le poids face à l’Islam.

Sorrentino :

Sans doute, maître, oui je l’ai suggéré, mais mon jeune pape se corrige au fil des épisodes, il apprend à s’assouplir, à accepter l’humanité et toutes les formes d’amour qu’elle est capable d’éprouver. A la fin, mon pape réactionnaire accepte même l’homosexualité, voyez-vous.

Stendhal :

J’ai vu, j’ai vu, Paolo. Vous avez su ménager le suspens, fidéliser vos spectateurs comme on fidélise les croyants. Vous leur avez proposé une belle idole à adorer tandis que les chrétiens attendent indéfiniment l’apparition de ce pape qui garde son secret… vous avez tendu à votre public une image, une peinture, une icône en mouvement. C’est très fort le cinéma, rhapsodique. A me faire regretter d’être né trop tôt.


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